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L’avocat doit être présent dès la première audition

Chronique des droits humains

Le 8 mars dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Belgique avait violé le droit à procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que le droit à l’assistance d’un avocat, garanti par l’article 6 § 3 let. c de la Convention. Dans cette affaire, le requérant a été condamné à une peine de prison à perpétuité à la suite d’éléments recueillis par la police alors qu’il n’était pas assisté d’un avocat1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 mars 2022 dans la cause Tonislav Tonkov c. Belgique (3e section)..

Le requérant, d’origine bulgare et né en 1983, est arrivé en Belgique en 2008 où il s’est établi comme indépendant. Le 17 septembre 2009, puis le 3 novembre 2009, il fut interrogé par la police en qualité de «source» dans le cadre d’une enquête sur le meurtre d’une personne survenu le 14 septembre au soir. A cette occasion, il fut confronté aux déclarations faites par d’autres personnes entendues dans le cadre de l’enquête et fit des déclarations circonstanciées sur ses relations et sa rencontre avec la victime. Il fut à nouveau auditionné le 20 janvier 2010, cette fois en anglais et en qualité de «suspect».

Retourné en Bulgarie, il y fut arrêté puis extradé vers la Belgique. A son arrivée, le 18 août 2010, il fut à nouveau interrogé par la police en qualité de suspect du meurtre, puis entendu par un juge d’instruction qui lui signifia, à la fin de l’instruction, un mandat d’arrêt. Lors de cet interrogatoire, il fut confronté aux déclarations d’une autre personne, que les enquêteurs lui présentèrent comme étant suspectée d’avoir exécuté le meurtre et qui avait également été interrogée et arrêtée.

Il fut à nouveau entendu par la police à plusieurs reprises à l’automne 2010 et soumis à un test polygraphique (détecteur de mensonges) le 25 novembre 2010, suivi de nouvelles auditions. Ce n’est que lors du dernier interrogatoire, dit récapitulatif, qu’il put être assisté de son avocat.

A l’issue du procès, le jury déclara le requérant ainsi que le coaccusé coupables notamment d’homicide volontaire avec préméditation et intention de donner la mort. Les motifs retenus par le jury tenaient aux déclarations détaillées et maintenues du coaccusé selon lesquelles il avait tué la victime à coups de couteau sur les instructions expresses du requérant. Ce dernier fut ainsi condamné à la peine de réclusion à perpétuité.

La Cour s’est référée à un arrêt de principe2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 décembre 2018 dans la cause Philippe Beuze c. Belgique (Grande Chambre) rappelant que l’accès à un avocat durant la phase préalable au procès contribue à la prévention des erreurs judiciaires et, surtout, à la réalisation des buts poursuivis par l’article 6 de la Convention, notamment l’égalité des armes entre l’accusé et les autorités d’enquête ou de poursuite. En effet, l’accès à bref délai à un avocat constitue un contrepoids important à la vulnérabilité des suspects en garde à vue.

La Cour constate que le requérant n’a pas bénéficié d’un avocat au cours des trois premières auditions, alors même que ses déclarations se sont avérées déterminantes pour la suite de l’enquête. Le requérant avait ainsi acquis dès le début la qualité d’accusé, entraînant l’application des garanties de l’article 6 de la Convention, même si les enquêteurs ne l’avaient qualifié que de «source».

Un autre aspect intéressant de cet arrêt tient à la place donnée aux déclarations du coprévenu. En effet, la condamnation du prévenu a reposé de manière déterminante sur ces déclarations. Or, dans la procédure préalable, ce coprévenu n’avait pas non plus été assisté d’un avocat. La Cour relève qu’une prudence toute particulière s’impose à l’égard de telles déclarations, les juridictions internes devant notamment s’assurer que ces dernières ne résultent pas de pressions ni d’actes contraires à l’article 3 de la Convention.

Ce dernier aspect devrait intéresser particulièrement les Chambres fédérales qui se penchent actuellement sur un projet de modification du Code de procédure pénale3>Message du Conseil fédéral du 28 août 2019 concernant la modification du Code de procédure pénale FF 2019 pp. 6351 ss – objet parlementaire n. 19.048, actuellement en discussion aux Chambres fédérales. La majorité du Conseil national refuse pour le moment cette restriction des droits de la défense. qui contient en particulier, sur la suggestion de la conférence des procureurs, une proposition visant à exclure les prévenus de l’audition des co-prévenus.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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