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Les Etats doivent agir contre la haine homophobe

Chronique des droits humains

Ce mardi 14 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Lituanie pour avoir violé l’article 14 de la Convention qui proscrit la discrimination, en relation avec le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi que pour violation de l’article 13 de la Convention, soit le droit à un recours effectif.1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 janvier 2020 dans la cause Pijus Beizaras et Mangirdas Levickas c. Lituanie (2ème section)

Les requérants, ressortissants lituaniens nés respectivement en 1996 et 1995, étaient à l’époque des faits étudiants, l’un dans une école supérieure d’art, l’autre au début de ses études de théologie. Ils sont ouvertement homosexuels et entretiennent une relation entre eux. Ils se connaissent depuis la fin de l’année 2013 et le premier requérant a posté le 4 juillet 2014 sur son statut Facebook qu’il était dans une relation avec le second requérant. Le 8 décembre 2014, le premier requérant posta sur sa page Facebook une photographie sur laquelle on les voyait s’embrasser. Cette photographie était accessible non seulement à ses amis Facebook, mais à tout un chacun. La photographie devint alors virale et reçut alors plus de 2400 «j’aime», mais aussi plus de 800 commentaires. La majorité de ces commentaires contenaient des messages visant à inciter à la haine et à la violence contre les personnes homosexuelles en général, tandis qu’un grand nombre étaient directement destinés aux requérants personnellement. Ils appelaient pour la plupart à «castrer», «tuer», «exterminer» et «brûler» les intéressés parce qu’ils étaient homosexuels.

Avec l’aide d’une association de défense des personnes homosexuelles dont ils étaient membres, ils saisirent le parquet du procureur afin qu’une enquête pénale pour incitation à la haine et à la violence contre les personnes homosexuelles soit ouverte. Le 30 décembre 2014, le procureur décida toutefois de ne pas ouvrir d’enquête préliminaire. Il considéra que les auteurs des commentaires s’étaient bornés à «exprimer leur opinion» et que, s’il était certes «immoral», leur comportement ne justifiait pas que l’on engageât des poursuites pénales contre eux. Cette décision fut confirmée par le Tribunal de district puis par la Cour d’appel, qui relevèrent que les requérants s’étaient comportés de manière «excentrique» et délibérément provocante.

Ces instances judiciaires ajoutèrent que les requérants auraient pu prévoir que le fait de publier une photographie de deux hommes en train de s’embrasser ne contribuerait ni au renforcement de la cohésion sociale ni à la promotion de la tolérance en Lituanie, pays où «les valeurs familiales traditionnelles étaient très appréciées». Selon elles, les requérants auraient mieux fait de diffuser leur photographie auprès de «personnes partageant les mêmes vues», d’autant plus que Facebook offrait la possibilité de limiter aux amis uniquement l’accès au contenu publié sur la plateforme.

La Cour rappelle qu’en référence à la notion de société démocratique présente à de nombreuses reprises dans le texte de la Convention, elle attache une importance particulière aux valeurs de pluralisme, de tolérance et d’ouverture d’esprit. La démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité, mais commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et évite tout abus d’une position dominante. Le pluralisme repose sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité; une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. La Cour note enfin que les Etats ont l’obligation positive d’assurer la jouissance effective des droits et libertés prévus par la Convention. Cette obligation revêt une importance toute particulière pour les personnes dont les opinions sont impopulaires ou qui appartiennent à des minorités, du fait qu’elles sont plus exposées aux brimades.

La Cour observe dans le cas particulier que l’homosexualité des requérants a joué un rôle dans la manière dont ils ont été traités par les autorités. En faisant référence au «comportement excentriques» des requérants, les juridictions pénales visaient leur orientation sexuelle. Elles ont refusé d’ouvrir une enquête préliminaire car elles réprouvaient le fait que les requérants aient affiché aussi publiquement leur orientation sexuelle, citant l’incompatibilité des «valeurs familiales traditionnelles» avec l’acceptation de l’homosexualité par la société. L’attitude discriminante des autorités a privé les requérants de la protection que le droit pénal leur garantissait contre des faits constituant des appels non dissimulés à une atteinte à leur intégrité physique et mentale.

Dans un peu plus de trois semaines, nous serons appelés en Suisse à nous prononcer sur une modification du code pénal qui étend à l’orientation sexuelle la répression de la haine ou de la discrimination d’une personne ou d’un groupe en raison d’une appartenance particulière.2>Modification de l’article 261bis du Code pénal et 171c du Code pénal militaire. Les considérations de cet arrêt sont certainement de nature à nourrir le débat public avant cette votation.

Notes[+]

Notre chroniqueur est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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