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Détenus âgés: pour la Cour le travail c’est la Santé!

Chronique des droits humains

Monsieur Beat Meier exécute une peine privative de liberté à la prison zurichoise de Pöschwies. Au cours de sa détention, les autorités lui ordonnent de travailler. Une possibilité découlant du Code pénal suisse qui astreint au travail les personnes détenues, qui est confirmée par la législation zurichoise, et qui permet de sanctionner les personnes détenues n’acceptant pas le travail imposé…

Une fois atteint l’âge de la retraite, Monsieur Meier demande à être dispensé de l’obligation de travailler, mais les autorités refusent et, dans un premier temps, sanctionnent le refus de travailler par un régime carcéral plus strict et une privation de téléviseur et d’ordinateur durant quatorze jours. Si cette sanction sera annulée suite à un recours, l’obligation de travailler sera maintenue, les tribunaux zurichois l’estimant conforme à la prohibition du travail forcé ou obligatoire prévue notamment à l’art. 4 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Un avis partagé par le Tribunal fédéral qui considère que «l’obligation de travailler dans l’exécution des peines ou mesures privatives de liberté sert à développer, préserver ou favoriser la capacité permettant la réinsertion dans la vie active après la mise en liberté». Pour les personnes âgées, cette obligation permettrait d’«éviter les conséquences nuisibles de la privation de liberté (…) et à minimiser la dégénération mentale et physique». Enfin, les juges fédéraux font une distinction entre le but du régime de l’AVS et celui du travail dans l’exécution d’une peine.

Monsieur Meier a donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme qui a, pour la première fois, l’occasion de se prononcer sur le caractère licite de l’obligation de travailler après l’âge de la retraite. Si la Cour admet que le travail infligé au recourant correspond à la définition du travail forcé ou obligatoire, soit un travail accompli «sous la menace d’une peine et pour lequel [il] ne [s’était] pas offert de plein gré», elle relève que des exceptions à l’interdiction du travail obligatoire sont prévues par la Convention s’agissant des personnes soumises à la détention. Le texte reste muet s’agissant des personnes détenues ayant atteint l’âge de la retraite. Un silence interprété en faveur du Gouvernement suisse, puisque les juges de Strasbourg retiennent que l’obligation de travailler après l’âge de la retraite, y compris sous la menace d’une sanction, viserait à réduire les «effets nocifs de la détention». La Cour relève ensuite que les travaux imposés à Monsieur Meier étaient légers et à temps partiel, soit notamment «colorier des mandalas, nettoyer sa cellule ou faire des sculptures en bois flottant» pour une durée de 18 heures par semaine.

Enfin, la Cour relève qu’il n’existerait pas de consensus parmi les Etats du Conseil de l’Europe s’agissant de l’interdiction du travail en prison pour les personnes âgées. Cela malgré le fait que seize des vingt-huit Etats consultés interdisent expressément un tel travail et que les douze autres ont laissé la question ouverte en droit interne, mais prévoient des mesures limitant le travail des personnes âgées. De plus, les Règles pénitentiaires européennes, un texte officiel non-contraignant mais habituellement influent sur le raisonnement de la Cour, ­précisent qu’une obligation de travailler est possible pour «les détenus condamnés n’ayant pas atteint l’âge normal de la ­retraite».

Pour les juges de Strasbourg, la Suisse n’aurait donc pas violé les droits de Monsieur Meier. Une conclusion étonnante, se fondant sur un raisonnement peu convaincant, qui revient à autoriser une pratique plus que douteuse infligée à des personnes doublement vulnérables, en raison de leur âge et de leur privation de liberté. Non moins surprenant est l’acharnement montré par les autorités suisses dans la défense du travail forcé pour les personnes privées de liberté ayant atteint l’âge de la retraite. Ces mêmes autorités qui se révèlent bien moins soucieuses au moment de défendre et d’appliquer le droit à des conditions de travail justes et favorables pour les personnes détenues, droit pourtant reconnu par le droit international et bien plus utile pour réduire les conséquences nocives de la détention. Pour le constater, il ne faut pas aller bien loin. Dans l’établissement genevois de La Brenaz le travail offert aux personnes détenues ne dépasse pas les 16 heures par semaine et est rémunéré CHF 4.10 de l’heure (tarif d’atelier de boulangerie). Une manière peut-être de rappeler aux personnes privées de liberté qu’avant d’avoir des droits, elles ont des obligations. Une dynamique qui, dans l’esprit de notre législateur, vise probablement à faciliter leur réinsertion, puisqu’elle habitue les travailleurs et travailleuses emprisonnées, même les plus âgés, au marché du travail libéralisé, à la précarité et à l’exploitation qui les attendent de ce côté du mur.

*Avocat et membre de l’Association des juristes progressistes

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