Les énergies renouvelables n’ont jamais été aussi bon marché. En dix ans, le coût de l’électricité solaire a chuté de 85% et celui de l’éolien terrestre de près de 70%.1> International Renewable Energy Agency. (2023), Renewable Power Generation Costs in 2022. Abu Dhabi: IRENA.
Pendant longtemps, le coût relativement élevé des énergies renouvelables était cité comme un obstacle majeur à leur déploiement généralisé. Ces baisses impressionnantes renforcent donc l’idée rassurante que la transition énergétique devient rentable, et que dès lors, elle ne serait maintenant plus qu’une question de temps.
Pourtant la réalité contredit ce récit. Les énergies renouvelables, bien qu’en forte expansion, ne supplantent pas les énergies fossiles: elles s’y ajoutent. La production mondiale d’électricité fossile continue d’augmenter, atteignant des niveaux record 2> International Energy Agency. (2023), World Energy Outlook 2023. Paris: IEA., et la transition énergétique est encore loin d’être concrétisée. Face à ce constat, une question légitime se pose: pourquoi, alors que les renouvelables deviennent si compétitives, ne parvient-on pas à voir leur déploiement réduire significativement la part de marché des énergies fossiles?
Une réponse aussi troublante que nécessaire nous est proposée par Brett Christophers, professeur à l’université d’Uppsala, en Suède, dans son ouvrage The Price is Wrong. Il démontre que, contrairement aux idées répandues, l’aspect bon marché des énergies renouvelables n’attire pas automatiquement les capitaux. Il rappelle que ce qui compte pour les investisseurs, ce ne sont pas les faibles coûts de production mais les perspectives de profitabilité. Or les projets dans les énergies renouvelables sont souvent perçus comme offrant des rendements trop incertains, faibles et dépendants des soutiens publics. 3> Christophers, B. (2023). The Price is Wrong: Why Capitalism Won’t Save the Planet. London: Verso.
Son argument est partagé, ici ouvertement, par un des grands acteurs du secteur de l’énergie. Wael Sawan, PDG de Shell, indiquait en 2022 que «nous ne pouvons pas justifier un rendement faible. Nos actionnaires méritent de voir que nous visons des rendements élevés. Si nous ne pouvons pas atteindre les rendements à deux chiffres dans une entreprise, nous devons nous demander très sérieusement si nous devrions continuer dans cette entreprise. Absolument, nous voulons continuer à opter pour moins et moins de carbone, mais cela doit être rentable».4> Seeking Alpha. (2023, 2 février). Shell PLC (SHEL) Q4 2022 Earnings Call Transcript. Seeking Alpha. Cette phrase est parfaitement explicite. Subordonner la décarbonisation des énergies aux rendements forts est donc pleinement assumé.
On le constate dans les tendances d’investissement actuelles des grandes entreprises pétrolières. En février 2025, BP annonçait avoir entrepris un virage «trop rapide» vers les renouvelables et décidait dans le sillage d’augmenter de 20% ses dépenses dans le pétrole et le gaz, tout en réduisant celles consacrées aux énergies renouvelables. A la même période, Shell a abaissé la part de ses investissements verts, passant de 19% à 9%, tandis qu’Equinor et Eni réduisaient aussi leurs ambitions dans le secteur.
Face à ce paysage, il faut tirer la conclusion suivante: le marché, par lui-même, n’investira pas suffisamment dans les renouvelables. En effet, la logique de l’investissement privé est gouvernée par les perspectives de rentabilité, et non par l’urgence climatique. Il devient donc impératif de repenser le rôle de l’Etat dans cette transition. Non pas uniquement comme facilitateur, mais comme acteur central de la transformation énergétique. Des entreprises publiques ont, dans le cas de l’Allemagne ou du Danemark, pris le rôle de porteur de l’investissement dans les énergies renouvelables 5> Mazzucato, M. (2013). The Entrepreneurial State. London: Anthem Press. . Il ne s’agit pas de se passer de toute logique marchande, mais de reconnaître fermement que le marché seul n’opérera pas la transition, car ses critères de décision restent étrangers à l’urgence de la situation climatique.
Espérer que la baisse des prix suffira, c’est se rassurer par un optimisme techniciste déconnecté des réalités marchandes. Tant que l’on n’aura pas modifié, en profondeur, les critères de l’investissement, ou que les énergies renouvelables ne rapporteront pas autant que les fossiles, la décarbonisation restera un mirage. Le capitalisme ne sauvera pas la planète. Il faut cesser de le lui demander.
Notes