Édito

Le Chili de Pinochet, si loin, si proche

Le Chili de Pinochet, si loin, si proche
Le président chilien Gabriel Boric se tient devant l'entrée Est du palais présidentiel de La Moneda lors d'une cérémonie commémorant le 50e anniversaire du coup d'État de 1973 qui a porté le général Augusto Pinochet au pouvoir, à Santiago du Chili, le dimanche 10 septembre 2023. KEYSTONE
Chili

Les apparences sont trompeuses. Cinquante ans après le coup d’Etat du général Augusto Pinochet, téléguidé par Washington pour pulvériser les élans progressistes du Chili de Salvador Allende, le pays est gouverné par un président de gauche, Gabriel Boric; alors que Santiago est administrée par une syndique communiste, Irací Hassler. Pour autant, la nation et sa capitale sont loin de prendre la voie d’une nouvelle expérience redistributive comme celle de l’Unité populaire dès 1970. Et les vieux démons rôdent toujours, dans un pays fortement polarisé où les nostalgiques du cycle initié le 11 septembre 1973 donnent plus que jamais de la voix.

Aussi une visite au numéro 501 de l’avenue Matucana, à Santiago, ne doit pas faire illusion: l’impressionnant Musée de la mémoire et des droits humains qui s’y trouve, institution voulue par l’ex-présidente Michelle Bachelet et qui revient avec volontarisme sur les crimes de la dictature, est l’une des rares expressions publiques d’un travail mémoriel encore largement à réaliser. Ne serait-ce que pour rechercher les disparu•es du golpe, une entreprise aujourd’hui soutenue par l’Etat mais qui intervient tardivement (Le Courrier du 8 septembre). Après la dernière et plus meurtrière de ses nombreuses dictatures, le voisin argentin a pour sa part entamé recherches et procès dès le retour de la démocratie, en 1983.

Et puis, le Chili peine à changer de Constitution, celle dictée par Pinochet en 1980 étant toujours la charte fondamentale du pays. L’élan populaire de 2019, qui a vu des centaines de milliers de Chilien·nes descendre dans la rue pour exiger que le présent rompe avec le passé, aura débouché sur un échec d’étape: inspirée par les revendications égalitaires des manifestant·es, une nouvelle Constitution a été rejetée par 62% des suffrages en septembre 2022. On verra ce qu’il en sera le 17 décembre prochain, lorsqu’un deuxième texte sera soumis au peuple – les sondages sont pessimistes.

Quant au néolibéralisme mis en place durant les années Pinochet, promotion du «moins d’Etat» et des privatisations repris avec ferveur par Reagan ou Thatcher, il est aujourd’hui la norme (quasi) mondiale. D’ailleurs, au même titre que le paradigme sécuritaire né dans la foulée des attentats d’un autre 11 septembre, cette fois étasunien, il y a vingt-deux ans. Or, si les idées progressistes d’un Allende ont pu être anéanties en une courte matinée de 1973, il est à craindre que l’ordre libéralo-martial apparu depuis, dont la fuite en avant fonctionne aux hydro-carbures, n’abdiquera que si la vie sur la planète Terre le fait avant lui.

Opinions Édito Samuel Schellenberg Chili

Autour de l'article

Connexion