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Les autorités doivent sérieusement lutter contre le bruit et toutes les sources de pollution

Chronique des droits humains

Le 14 octobre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Pologne avait violé le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention, pour ne pas avoir suffisamment protégé les requérants contre le bruit du trafic routier induit par la construction d’une autoroute qui a détourné le trafic sur une route nationale bordant la maison des requérants1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 octobre 2021 dans la cause Katarzyna Kapa et consorts c. Pologne (1ère section)..

En 2006, pendant la construction échelonnée de l’autoroute A2 – qui fait partie du second corridor de transport européen, reliant Hanovre à Moscou, en passant par Berlin, Francfort, Poznan, Varsovie et Minsk –, la circulation a été temporairement déviée de la jonction autoroutière sur la route nationale adjacente. A la suite de l’ouverture du premier tronçon de l’autoroute, le trafic, en particulier celui des véhicules de transport de marchandises en direction de Varsovie, a augmenté de façon spectaculaire, entraînant une augmentation des nuisances sonores, des vibrations et des gaz d’échappement. Plusieurs études ont été réalisées et un projet de périphérique destiné à réduire la charge de trafic sur la route nationale a été élaboré. Une étude a notamment relevé une augmentation de la pollution, avec des nuisances sonores dépassant les normes réglementaires; une autre relevait la possibilité de troubles psychophysiologiques graves, des maladies et peut-être même une diminution de l’espérance de vie des résidents. A la fin de l’année 2008, l’ouverture du tronçon suivant de l’autoroute a permis de réduire le trafic sur la route nationale à un niveau acceptable. En 2009, les requérants ont intenté une action contre l’Etat, demandant une indemnisation pour les nuisances subies. Cette action a été rejetée par les tribunaux internes, pour le motif que les autorités avaient agi dans le respect de la loi et trouvé une solution à long terme.

La Cour rappelle que l’article 8 de la Convention protège le droit de l’individu au respecte de sa vie familiale, de son domicile et de sa correspondance. Le domicile est normalement le lieu, l’espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L’individu a droit au respect de son domicile, non seulement à son respect physique, mais aussi à en jouir tranquillement. Les atteintes à ce droit ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l’entrée dans le domicile d’une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que le bruit, les émissions ou autres ingérences. Si la convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain et calme, lorsqu’une personne pâtit directement et gravement du bruit et d’autres formes de pollution, elle peut se prévaloir du droit au respect de sa vie privée2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 8 juillet 2003 dans l’affaire Ruth Hatton et consorts c. Royaume-Uni (Grande Chambre Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 juillet 2019 dans la cause Valeriya Igorevna Volodia c. Russie (3ème section).. Le droit au respect de la vie privée est essentiellement dirigé contre les ingérences des autorités publiques, mais il peut aussi s’analyser en obligation positive de l’Etat de prendre toutes mesures raisonnables contre les ingérences provenant d’autres personnes privées3>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 avril 2004 dans la cause Mitica Surugiu. Roumanie (2ème section)..

Dans le cas d’espèce, la Cour a considéré que les autorités avaient sciemment ignoré le problème, dès 1996 lors de la planification de la construction de l’autoroute, et avaient poursuivi le développement du projet autoroutier au mépris total du bien-être des riverains. L’Etat avait privilégié les conducteurs par rapport aux résidents. Le détournement de la circulation devant la maison des requérants et l’absence de réponse adéquate des autorités ont porté atteinte à la jouissance paisible de leur domicile, entraînant une violation de l’article 8 de la Convention.

Cette décision marque une évolution de la jurisprudence dans le sens voulu par les juges qui avaient exprimé un avis minoritaire dans une affaire où la Cour n’avait pas sanctionné le Royaume-Uni pour le bruit des avions subi par une famille habitant proche de l’aéroport d’Heathrow, à Londres4>Arrêt de la Grande Chambre du 8 juillet 2003 dans l’affaire Ruth Hatton et consorts précité (n. 2)..

Il ne fait guère de doute qu’elle nourrira les débats nombreux autour du bruit émis par les routes ou les aéroports, en Suisse ou à l’étranger.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association
des juristes progressistes.

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