Les préjugés sexistes exposent à une victimisation secondaire, prohibée par la CEDH
Jeudi 27 mai 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par six voix contre une, que l’Italie avait violé l’article 8 de la Convention, qui garantit le respect de la vie privée et l’intégrité personnelle, pour n’avoir pas suffisamment protégé d’une victimisation secondaire la requérante, dans le cadre d’une procédure pour violences sexuelles en réunion1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 mai 2021 dans la cause J.L. c. Italie (1ère section)..
La requérante, née en 1986, était à l’époque des faits étudiante en histoire de l’art et théâtre à Florence. Le soir du 28 juillet 2008, aux alentours de minuit, elle rejoignit des amis dans un parc public situé dans une ancienne forteresse militaire où se déroulaient des spectacles. Elle avait rejoint un groupe de garçons à l’initiative d’un ami, qu’elle avait rencontré dans un cours de théâtre deux ans auparavant et sous la direction duquel elle avait joué l’hiver précédent dans un court-métrage où elle interprétait le rôle d’une prostituée qui subissait des violences. Elle avait eu également avec lui un rapport sexuel occasionnel au début du mois de juin. Au cours de la soirée, elle consomma plusieurs verres de liqueur offerts par cet ami et ses compagnons au point de perdre rapidement le contrôle de ses actes et d’avoir des difficultés à marcher. Vers 1h30 du matin, elle suivit aux toilettes un des garçons qui exigea un rapport sexuel oral. Par la suite, elle chevaucha un taureau mécanique installé près de la buvette et dansa avec les membres du groupe. A 3 heures du matin, alors que la forteresse allait fermer ses portes, les garçons la caressèrent et touchèrent ses parties génitales, mais elle aurait opposé une résistance, en leur demandant ce qu’ils faisaient. A la sortie du parc, elle aurait été contrainte à des actes sexuels dans la voiture d’un des protagonistes, expliquant aux enquêteurs avoir été en état de choc et de confusion.
Au mois de mai 2010, les sept suspects furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Florence qui en condamna six d’entre eux pour avoir induit une personne se trouvant dans un état d’infériorité physique et psychique à accomplir ou subir des actes à caractère sexuel. Les condamnés firent appel et, en mars 2015, la Cour d’appel de Florence – composée de deux femmes et d’un homme – acquitta les prévenus, estimant que les multiples incohérences relevées par le tribunal dans la version des faits de la requérante ébranlaient la crédibilité de celle-ci dans sa globalité. Dans ses considérants, la cour d’appel notait que la requérante était alors certes fragile, mais aussi créative et désinhibée, capable de gérer sa bisexualité et d’avoir des rapports sexuels occasionnels dont elle n’était pas tout à fait convaincue.
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle que l’article 8 de la Convention impose aux Etats l’obligation positive d’adopter des dispositions pénales incriminant et punissant de manière effective tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique, et de mettre concrètement ces dispositions en œuvre par l’accomplissement d’enquêtes et de poursuites effectives2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 décembre 2003 dans la cause M.C. c. Bulgarie (1ère section)... Dans le cas qui lui a été soumis, la Cour constate que le droit italien sanctionne pénalement le viol, que l’enquête à laquelle ont procédé les autorités italiennes était suffisamment diligente et effective et que la procédure a été conduite dans le respect de son intégrité personnelle. En revanche, elle a jugé que les considérations de la Cour d’appel de Florence relatives à la condition familiale de la requérante, à ses relations sentimentales, à ses orientations sexuelles, à ses choix vestimentaires ainsi qu’à l’objet de ses activités artistiques et culturelles n’étaient pas pertinentes pour apprécier la crédibilité de l’intéressée et la responsabilité pénale des prévenus. Le devoir de protection des victimes présumées de violences sexistes impose un devoir de protéger l’image, la dignité et la vie privée de celles-ci, y compris par la non-divulgation d’informations et de données personnelles sans relations avec les faits.
Cet arrêt fait écho au débat actuel en Suisse relatif à une nouvelle définition pénale du viol et à l’introduction de la notion de consentement dans les dispositions relatives aux infractions sexuelles. L’Association des juristes progressistes, comme d’autres organisations, appelle à cette clarification nécessaire3> cf. prise de position de l’association des juristes progressistes du 7 mai 2021, www.ajp-ge.ch.
Notes
* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.