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Il me semble…

A rebrousse-poil

N’ayant fait que des études très très secondaires, je n’oserai pas prétendre parler en philosophe ou en sociologue. Conscient de mes possibles limites, je ferai donc précéder ce qui suit d’un prudent: «il me semble que»…

Principe essentiel, sur lequel se base toute société, la morale définit ce qui est bien et ce qui est mal.

Cette notion bien sûr dépend de ce que l’on met dans ces jarres que sont «le bien» et «le mal». Leur contenu résulte de croyances, de préceptes religieux ou philosophiques, de convictions politiques.

La morale varie donc d’une civilisation, ou d’un pays, à l’autre. A tel endroit, par exemple, il est tout à fait moral de contraindre les femmes à voiler leur visage: ce serait prescrit dans un livre sacré. Ailleurs, on peut en toute quiétude voler la terre de son voisin, puisqu’un Dieu tout puissant l’a promise à votre peuple depuis la nuit des temps.

La morale change aussi à travers les âges. Dans les siècles passés, d’excellents chrétiens n’éprouvaient aucun remords à massacrer les Indiens, du nord au sud de l’Amérique, l’Eglise soutenant que ces gens-là n’avaient pas d’âme. De même, des notables très pieux, bienfaiteurs ici de leur ville ou de leur communauté, pratiquaient sans vergogne le commerce triangulaire, puisqu’il était entendu que les esclaves africains n’étaient rien d’autre que des sortes d’animaux.

Remarquons que dans ces deux cas la morale, comme par hasard, ne s’opposait pas à la soif d’enrichissement! Et le déni du caractère humain de l’autre est ce qui a permis, de tous temps, à d’innombrables bourreaux de passer des nuits paisibles après avoir accompli leur abjecte besogne.
Bref.

La morale fait consensus dans une société, elle est admise par tous ses membres, du moins en apparence. Ne pas s’y conformer est regardé de travers, on ne peut pas prétendre être honorable si, ouvertement, on ne suit pas les règles convenues. Cela vaut également dans le domaine de l’économie: pour permettre des rapports commerciaux corrects, il est de bon ton d’afficher son adhésion à la morale du temps, même si cette attitude n’est parfois qu’une façade.

Chez nous et de nos jours, la morale commande avant tout le respect de l’humain. Et depuis quelques années, à cette exigence est venue s’ajouter celle du respect de la nature.

Eh bien, voilà exactement ce que demande l’initiative populaire visant les multinationales ayant leur siège en Suisse, «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement»: la mise en pratique de notre morale! Et cela sur la planète entière, quoi de plus normal?

Or certains milieux économiques ont sorti la grosse artillerie pour convaincre l’électeur de rejeter cette proposition, pourtant belle, simple et légitime. A coup de millions, à grand renfort d’affiches, d’interventions dans la presse et de présence sur le net, ils avancent sur plusieurs fronts, tout en mettant en doute l’honnêteté des initiants.

D’abord, ils assurent qu’il n’y a pas meilleur que ces multinationales pour respecter l’humain et l’environnement. Eminemment honorables, elles sont déjà responsables, c’est dans leur nature, pas besoin donc de leur demander de le devenir! Ensuite, ils affirment que si des atteintes sont portées à l’homme ou à la planète dans des pays lointains, elles n’y peuvent rien, et ce n’est pas à nous, Suisses, d’y intervenir: quelle horreur, quelle attitude néocolonialiste! Les personnes lésées au loin n’ont qu’à se plaindre à leur propre justice qui, comme chacun le sait, est partout intègre et au-dessus de tout soupçon. Enfin, disent-ils, il ne faut pas oublier que ces sociétés créent des emplois dans ces contrées déshéritées, comme chez nous. Leur faire de l’ombre, c’est à coup sûr condamner des milliers de gens au chômage.

En somme, ce sont des bienfaitrices, qui n’ont rien à se reprocher, et le citoyen peut leur faire confiance.

Ouais… si c’est le cas, si elles sont blanches comme neige, qu’est-ce qui provoque l’extrême violence de leur réaction? Si l’on est menacé par une souris, on ne va pas remettre en service la Grosse Bertha pour s’en débarrasser! L’énormité des moyens mis en œuvre pour combattre cette initiative ne vient-elle pas confirmer, tout bonnement, que certaines multinationales ont très gros à perdre si le peuple les rappelle à l’ordre, parce que, si elles respectent peut-être les règles de la morale ici, elles les piétinent sans vergogne là-bas?

Il me semble…

Ce dont je suis certain, donc, c’est que je vais voter «oui» le 29 novembre.

www.michelbuhler.com
Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.

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