Les Suisses fixent leurs priorités
Quatre victoires fédérales pour la gauche sur cinq objets soumis au vote. Et il s’en est fallu d’un cheveu pour que le dernier – l’acquisition de nouveaux avions de combat – ne tombe dans son escarcelle. De quoi savourer ce dimanche de votations.
Feu vert, donc, au congé paternité mais pas de cadeaux fiscaux aux familles favorisées, ni aux entreprises dans le canton de Genève (initiative «zéro pertes» contre la concurrence fiscale intercantonale). Une protection des travailleuses et travailleurs, par exemple avec le salaire minimum avalisé au bout du lac, plutôt qu’une fermeture des frontières comme l’induisait l’initiative de limitation de l’UDC. Enfin, pas de blanc-seing aux chasseurs pour tirer à vue sur la faune sauvage.
Que s’est-il passé? Il faudra analyser finement les votes pour identifier une tendance «jeunes» ou «femmes» qui auraient crû avec les grèves féministe et du climat. L’économie a aussi pesé tout son poids contre l’initiative UDC. Difficile, toutefois, d’ignorer le contexte social et politique de ces six derniers mois. Le coronavirus est passé par là et certaines boussoles ont retrouvé leur nord: le besoin premier de passer du temps avec sa famille plutôt que d’épargner en impôts, de préserver la biodiversité à l’heure de la sixième extinction de masse des espèces, de trouver une voie dynamique d’échanges avec les pays voisins en protégeant les salarié-es plutôt que le rejet et la peur du personnel frontalier – dont nos hôpitaux ont par ailleurs besoin pour tourner. L’image de la misère s’étirant en longues files d’attentes pour se nourrir a sans doute joué, à Genève, en faveur du salaire minimum.
Ces priorités fixées, il reste de vastes chantiers à mener pour que la Suisse protège ses citoyen-nes et ses résident-es des aléas sanitaires et sociaux. Sachant les défis futurs, on ne peut que regretter de voir 6 milliards de francs – 24 en comptant les frais d’entretien – investis dans du matériel de guerre. A méditer la prochaine fois que la droite exigera de couper dans les prestations sociales, les services publics ou les soutiens à des secteurs économiques au prétexte que les caisses sont vides.
Les victoires de ce dimanche incitent aussi à une certaine prudence. La gauche devra consolider la tendance, à Berne et dans les cantons. Le risque est fort, aussi, d’oublier les voix minoritaires. Dont celle du Tessin sur l’initiative de limitation, qui rappelle le sentiment d’isolement voire d’abandon de ce canton. Cette voix trop peu entendue fait écho aux inquiétudes d’autres régions frontalières, arc jurassien et bassin lémanique notamment. Combinée au net rejet des avions de chasse, l’acceptation tessinoise de l’initiative UDC sonne comme un appel à la protection économique plutôt qu’un vote sécuritaire. Elle rappelle que l’emploi demeure une préoccupation majeure pour beaucoup de Suisses – et frontalier-ères – qui méritent bien mieux que d’être traité-es comme les variables d’ajustement des entreprises. Plus la Confédération saura en tenir compte, moins elle craindra de voir les dangereux arguments de l’extrême droite trouver prise.