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Les Etats doivent prendre des mesures effectives et concrètes contre la violence des armes

Chronique des droits humains

Le 17 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné, par six voix contre une, la Finlande pour avoir violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit à la vie de toute personne1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 septembre 2020 dans la cause Elmeri Kotilainen et consorts c. Finlande (1ère section). L’affaire en question concerne une fusillade qui s’était déroulée en 2008 dans un établissement scolaire de la ville de Kauhajoki.

Le mardi 23 septembre 2008 à 10 heures et demi du matin, un étudiant d’un lycée professionnel âgé de 22 ans a massacré 10 personnes du lycée – 9 autres étudiants et un professeur – pendant plus d’une heure avec une arme de calibre 22, puis avait retourné son arme contre lui. Trois mois auparavant, il avait requis un port d’arme auprès du commissariat local, qu’il avait obtenu une vingtaine de jours avant le massacre. La veille de la fusillade, l’inspecteur divisionnaire du commissariat l’interrogea à propos de certains messages qu’il avait diffusés sur internet, notamment au sujet d’une publication dans laquelle il avait qualifié un film sur le massacre perpétré au lycée de Columbine (USA) de «meilleur divertissement du monde». Estimant alors qu’il ne représentait pas un danger pour la société, le policier décida qu’il n’était pas nécessaire de lui confisquer son arme.

Après la fusillade, l’inspecteur fut poursuivi pour manquement fautif à un devoir officiel et homicide par négligence grave. En 2011, les juridictions finlandaises le déclarèrent coupable du premier chef après avoir conclu que les propos qui avaient été publiés sur internet étaient perturbants et auraient justifié la saisie temporaire de son arme. En revanche, elles parvinrent à la conclusion que l’inspecteur n’était pas responsable des homicides en ce qu’il n’avait pas de raison de soupçonner qu’il y avait un risque réel que l’étudiant commît une tuerie dans un établissement scolaire. L’inspecteur se vit infliger un avertissement, mais les demandes de réparation des familles des victimes furent rejetées.

La Cour rappelle que le droit à la vie, garanti par l’article 2 qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe, impose à l’Etat l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort «intentionnellement», mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. L’Etat doit en particulier poser un cadre légal et réglementaire effectif et de prendre des mesures suffisantes pour que ce cadre réglementaire fonctionne bien, notamment des mesures de contrôle et d’application2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 19 décembre 2017 dans la cause Maria Isabel Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal (Grande Chambre).

La Cour observe ensuite qu’ayant eu connaissance des messages que l’auteur des faits avait publiés sur internet – qui suscitaient des doutes quant au point de savoir si l’intéressé pouvait en toute sécurité détenir une arme –, la police avait décidé de l’interroger mais pas de saisir son arme. Pourtant, en application du droit interne, cette arme aurait pu être saisie à titre de mesure de précaution. Cette saisie aurait été une mesure raisonnable et les autorités finlandaises auraient ainsi satisfait au devoir particulier de diligence qui découlait pour elles du risque particulièrement élevé inhérent à tout méfait comportant l’usage d’armes à feu.

En Suisse, l’article 8 de la loi fédérale sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions (loi sur les armes)3>RS 514.54 prévoit qu’aucun permis d’acquisition d’armes n’est délivré aux personnes dont il y a lieu de craindre qu’elles utilisent l’arme d’une manière dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui. Cela n’a pourtant pas empêché des drames, notamment celui du parlement de Zoug le 27 septembre 2001 qui fit 14 morts. Le débat politique est récurrent en la matière: une initiative populaire restrictive a été rejetée en 2011 mais un durcissement a été accepté le 19 mai 2019. Cet arrêt de la Cour viendra assurément nourrir le débat.

Notes[+]

Notre chroniqueur  est avocat au Barreau de Genève et président de l’Association des juristes progressistes

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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