Maximes
«C’est en voyant un moustique se poser sur ses testicules qu’on réalise qu’on ne peut pas régler tous les problèmes par la violence.» Cela fait quelques années que cette maxime est affichée dans mon bureau. Et depuis que nous approchons d’une importante votation fédérale, une autre est venue trotter dans ma tête: «Rabâchage et radotage sont les deux mamelles de la propagande.»
Arrêtons-nous sur ces phrases. Et prenons la seconde d’abord. Rappelez-vous 2014, lorsque le peuple a donné son avis – négatif! – à propos de l’achat d’avions de chasse Gripen. Le conseiller fédéral Ueli Maurer faisant campagne en faveur de cette dépense soutenait qu’une aviation militaire ultraperformante était indispensable pour assurer la sécurité du pays. En 2017, son successeur, Guy Parmelin, revenait à la charge: il fallait de toute urgence prévoir le remplacement de nos avions vieillissants, seuls de nouveaux appareils à la pointe du progrès permettraient la défense de la Suisse. Et cette année, demandant au peuple l’autorisation d’engager un premier crédit de 6 milliards de francs, l’actuelle cheffe du Département fédéral de la défense, Viola Amherd, remet la compresse en rabâchant les mêmes arguments que ses prédécesseurs: sans une flotte d’avions ultramodernes (et hors de prix), notre pays est en grand danger. Et je t’agite le spectre d’une attaque aérienne probable dans les années à venir, et je t’évoque la possibilité d’une menace terroriste venue du ciel, que des jets hypersophistiqués seraient à même de déjouer.
Radotage. C’est-à-dire étalage de propos peu sensés.
En effet, quitte à opposer à un rabâchage une autre répétition, voici les faits que je relevais à l’époque du Gripen: en 1991 (Irak), en 1999 (Serbie), en 2003 (Irak à nouveau), en 2011 (Libye), en 2013 (Syrie), dans toutes les guerres qui ont ravagé ces pays, leurs aviations, pourtant acquises à grands frais et performantes, n’ont servi strictement à rien.
Dans les années écoulées depuis, je ne vois pas où les forces aériennes d’un petit pays ont pu peser d’un poids quelconque contre un agresseur plus gros. Mais si un exemple existe, je ne demande qu’à le découvrir. Et à propos d’attaque terroriste, la plus puissante aviation du monde, celle des Etats-Unis, a-t-elle pu empêcher la destruction des deux tours de Manhattan, un certain 11 septembre?
S’accrochant à des dogmes d’un autre âge, notre gouvernement et les chefs de l’armée refusent de regarder la réalité en face. Et ils deviennent presque pathétiques lorsque, argument final, ils soulignent que ces merveilles volantes, dans leur rôle de gendarmes du ciel, seront essentielles pour assurer annuellement la sécurité des canailles qui participent au World Economic Forum de Davos! Rabâchage et radotage, donc.
Pour ce qui est du diptère suceur atterrissant sur un appareil génital masculin…
Né en 1945, j’ai eu la chance de traverser la vie sans connaître la guerre dans ma proximité. Par le passé, l’Europe n’avait jamais cessé d’être déchirée par des conflits meurtriers. Siècle après siècle, ce n’étaient à nos portes que batailles, massacres, destructions. Or voici que depuis septante-cinq ans les ennemis héréditaires vivent en – relative – bonne entente, et la rumeur des débats a remplacé le bruit des bottes. Cette longue période de coexistence n’est pas la conséquence d’un équilibre de la terreur, ce ne sont pas des escadrilles de chasseurs ou des divisions blindées prêtes à fondre sur le voisin qui ont fait taire les armes! Non! Mettant de côté la haine qui dressait les peuples les uns contre les autres à intervalles réguliers, on a décidé de bâtir la paix. Et on a réussi à faire de l’Europe de l’Ouest – avec tous les défauts que l’on connaît – un espace apaisé.
Ce qui s’est passé entre la France et l’Allemagne ne pourrait-il pas être possible ailleurs?
Plutôt que de dépenser inutilement une somme colossale pour préparer la guerre, il serait bon de la consacrer à tracer les chemins de la paix. Car «on ne peut pas régler tous les problèmes par la violence»…
www.michelbuhler.com
Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.