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Conférences de philosophie au théâtre

Intitulé «Scènes de l’émancipation», un cycle de conférences organisé par le Groupe genevois de philosophie s’intéresse aux enjeux liés à l’articulation entre théâtre, philosophie et l’émancipation. Le cycle s’ouvre avec Olivier Neveux, spécialiste du théâtre, le 27 novembre au Galpon.
Conférences

Malgré un besoin impérieux, le climat ne semble en rien propice à penser «l’émancipation». Nous oscillons entre pessimisme, vertige, fatalisme voire «réalisme capitaliste» (M. Fisher). Toute idée d’une émancipation, collective ou individuelle, semble non seulement hors de mise, mais presque hors sujet, comme si l’on ne pouvait plus s’autoriser à en former la simple pensée – si ce n’est, peut-être, dans la sphère du développement personnel.

Mais qu’entend-on au juste par émancipation? En philosophie le concept n’a rien d’univoque, mais désigne quelque chose comme «un passage, ou une rupture, le devenir indépendant d’une personne qui cesserait de se voir assujettie à une domination, qui accéderait à un exercice libre de la volonté, ou encore qui trouverait enfin en elle-même le pouvoir de décider du sens de ses actes».1>E. Brassat, «Définir l’émancipation», Le Télémaque 43 (1), 2013, 45. L’émancipation souligne le mouvement réflexif par lequel on cesse de subir une loi extérieure, l’acte par lequel on se saisit de sa propre liberté. Le terme prend une autre tournure après Marx, qui en a décisivement infléchi le sens à travers l’idée d’une émancipation humaine, la fin pratique de toutes les aliénations.

Jacques Rancière a mis en lumière ce que la pensée de l’émancipation produisait comme rapport de surplomb envers celles et ceux dont elle dénonce pourtant l’aliénation. Passant de l’émancipation à ses «scènes», à ses paradoxes, il change d’optique: l’émancipation est moins marche à suivre que découverte d’une puissance d’agir au cœur des pratiques ordinaires. Dès lors, l’émancipation «commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domination et de la sujétion. Elle commence quand on comprend que regarder est aussi une action qui confirme ou transforme cette distribution des positions».2>J. Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris: La Fabrique, 2008.

Inviter aujourd’hui à penser l’émancipation dans des conférences de philosophie au théâtre, c’est réaffirmer l’actualité de la philosophie dans cette tâche ardue. Or cette réactualisation joue aussi la philosophie contre elle-même, la faisant se déployer en d’autres lieux et en dialogue avec d’autres disciplines pour penser ce que peut le théâtre et ouvrir ce que pense le théâtre, au croisement, notamment, du philosophique et du politique. En contrepartie, il s’agit de réfléchir à ce que le théâtre et ses métaphores scéniques et dramatiques permettent à la philosophie de l’émancipation de formuler, ou, au contraire, ce que ceux-ci empêchent précisément de voir.

Le cycle du Groupe genevois de philosophie s’ouvrira ce mercredi 27 novembre au Théâtre du Galpon, par une conférence d’Olivier Neveux, spécialiste du théâtre et de la question politique et auteur de nombreux essais. La question de l’émancipation se déploiera ensuite selon différentes voies. Olivier Voirol, spécialiste de théorie critique, proposera une conférence sur les pratiques culturelles oppositionnelles, en lien avec la pièce de Magali Mougel au théâtre du Poche (26 janvier). Olivier Chassaing parlera de philosophie de la prison et de l’abolition en écho avec la pièce Marius de Joël Pommerat à la Comédie, avec une réponse de Julie de Dardel (21 mars).

Notre référence à Rancière n’est ici pas fortuite: il sera présent pour parler aux côtés de Bernard Aspe, un dimanche après-midi (30 mars) au Théâtre du Galpon. Hourya Bentouhami pensera avec nous «la langue de l’opprimé», Césaire et Shakespeare, en écho à la pièce d’Omar Porras, au Théâtre de Carouge (10 avril). Nous conclurons ce parcours sur la scène des livres eux-mêmes, avec une conférence à deux voix à la Bibliothèque de Genève (Bastions): Jamila Mascat (philosophe) et Giovanna Zapperi (historienne de l’art) discuteront de Carla Lonzi, critique d’art et figure de la pensée féministe italienne.

Notes[+]

Info: www.philo-ge.ch. Entrée libre.

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