Vaud

L’expérimentation comme moteur

Premier municipal de gauche radicale à Vevey, Yvan Luccarini, élu dimanche, a plusieurs vies en une.
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Le nouveau municipal Yvan Luccarini a découvert l’écologie par le biais de lectures scientifiques. OLIVIER VOGELSANG
Portrait

Yvan Luccarini est arrivé à Vevey un peu par hasard. En politique aussi d’ailleurs. Par défi, il s’était présenté une première fois aux élections municipales en 2011, en solitaire, sur un coup de tête. A force d’entendre les débats sur la décroissance se terminer par «Si tu y crois, présente-toi aux élections», il a pris un jour ses interlocuteurs au mot. Neuf ans plus tard, la décroissance n’est plus une idée si atypique et Yvan Luccarini fera son entrée à l’Hôtel de ville le 1er août en devenant le premier municipal de gauche radicale à Vevey.

Le militant politique n’a de loin pas baigné dans un milieu activiste. Né à Genève, il y reste jusqu’à ses 30 ans. Après l’école obligatoire, il commence une école d’ingénieur, qui devait le préparer à l’EPFL. Mais il se prend entre-temps de passion pour le billard, prend une année sabbatique pour s’y consacrer et ne retournera pas sur les bancs de l’école. Il crée sa salle de billard à Carouge, à 25 ans.

Militant sur le tard

Six ans plus tard, il revend ses parts et coédite un ouvrage technique sur le sujet avec un autre passionné, veveysan. Il vient souvent à Vevey avec son épouse et ils se laissent séduire par l’idée de s’y installer. «C’est à la fois la ville, avec une vie culturelle foisonnante, mais avec une ambiance de quartier. Nous y avons trouvé une grande facilité à entrer en contact avec les gens», relate-t-il. Il fréquente alors la Valsainte, un vieux quartier où vivent artistes et artisans.

Et sa vie de militant alors? Elle ­commence sur le tard, elle aussi. Yvan Luccarini découvre les problèmes écologiques par le biais de lectures scientifiques. «Ma formation me poussait ­plutôt vers les sciences dures. Et je me sentais désarmé devant les constats alarmants, sans pistes d’action.»

Découverte de la décroissance

Il découvre l’écologie politique et la décroissance en scrutant les bibliographies de ces ouvrages scientifiques. «J’ai réalisé qu’il y avait des projets pour revoir le fonctionnement de la société.» Alors qu’il commence à se confronter au débat d’idées – la décroissance fait alors sourire – il essaie d’appliquer ces principes. A son arrivée à Vevey, il s’était lancé comme indépendant dans l’édition. Désireux de fonder une famille et de travailler à temps partiel, il s’engage comme facteur puis dans une épicerie de produits locaux, où il travaillera pendant six ans.

En 2010, il rejoint le Réseau objection de croissance (ROC) et fonde avec d’autres militants le journal Moins!, promouvant les idées de la décroissance, qu’il juge malmenées par les médias traditionnels. La revue est aujourd’hui tirée à 3500 exemplaires, pour un millier d’abonnés.

Peu après ces premiers pas de militant, il se présente aux élections municipales de 2011. «C’était un défi de partir du projet global et révolutionnaire de décroissance pour le décliner en politiques communales.» Il fait campagne en proposant une cuisine communale et la suppression de la publicité dans l’espace public.

Yvan Luccarini continuera à occuper le terrain politique en organisant des événements militants autour de l’écologie et de la décroissance. En 2013, il se lance dans le comité interpartis d’un référendum contre un projet immobilier. «Je commençais à me politiser, cela m’a permis d’apprendre les mécanismes.» Il s’engagera dans un deuxième référendum en 2015 puis un troisième en 2017, victorieux à chaque fois.

Echec pour sept voix

Les liens entre militants se renforcent et Décroissance, unie avec le groupe historique de gauche radicale Alternatives depuis 2015, devient une force d’opposition redoutable. Cette année-là, Yvan Luccarini se lance à nouveau seul lors d’une élection complémentaire à l’exécutif. Au deuxième tour, il rate le siège municipal de sept petites voix. Une année plus tard, Décroissance-Alternatives fait un véritable raz-de-marée au Conseil communal, en passant de neuf à seize sièges, pendant que le PS en perd neuf.

Comment Yvan Luccarini passera-t-il de l’opposition à l’exécutif? En reprenant le Dicastère de l’économie, il sera en prise directe avec les commerçants, dont une partie est en rupture de confiance avec la municipalité et ont de l’urticaire en pensant à la décroissance, alors qu’ils ont subi coup sur coup des pertes de revenus avec la Fête des vignerons puis la crise sanitaire.

Vers le changement

Le nouveau municipal prendra son bâton de pèlerin. «Les divergences autour de la mobilité doivent être mises sur la table. Je commencerai par les écouter et voir comment aider l’ensemble de l’économie locale, très touchée par la crise sanitaire.» Autre priorité, le renforcement de la politique de la jeunesse, qu’il estime actuellement mise de côté bien qu’indispensable pour le vivre-ensemble.

Les mouvements sociaux, portés par des jeunes, se sont beaucoup développés ces derniers temps à Vevey, que ce soit un collectif très actif de la grève des femmes ou une branche d’Extinction Rebellion créée dernièrement. Cet élan militant n’est d’ailleurs pas étranger à l’élection d’Yvan Luccarini. «Ces mouvements prennent de l’ampleur, ils sont nécessaires dans une démocratie. In fine, le changement viendra plutôt de là que des institutions elles-mêmes», juge le nouveau municipal.

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