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Peste porcine africaine: la filière viande panique

REMERCIEMENTS
L'Allemagne vue de là-bas

Nous traversons l’une des pires crises sanitaires de l’histoire récente, dont les conséquences socio-économiques se feront longtemps sentir: l’épidémie de peste porcine africaine (PPA), qui fait des ravages en Asie et en Europe de l’Est, menace la production mondiale de viande. D’origine virale, la PPA est épidémique en Europe de l’Est et en Asie depuis 2007, et il n’existe pas de vaccin efficace; son taux de létalité est de près de 100%.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA), les ravages de la PPA en Asie sont inquiétants pour l’économie mondiale. Soixante pourcent des populations porcines s’y trouvent, partagées entre élevages de grande taille et petites exploitations familiales. Pour endiguer l’épidémie, les autorités chinoises ont adopté une politique particulièrement stricte: près de la moitié des 780 millions cochons du pays ont été abattus en 2019.

En conséquence de cet abattage massif, le prix de la viande de porc a augmenté si fortement qu’il est devenu rentable pour les producteurs allemands d’exporter jusqu’en Asie (voir notre chronique du 13 mai 2020). Les Allemands ont ainsi exporté deux fois plus de viande vers la Chine en 2019 qu’en 2018. Résultat de l’intensification des exportations: le prix de la viande porcine a augmenté d’un tiers en Allemagne l’année dernière.

Le coût des matières premières représente la moitié du prix final de la viande. Les producteurs n’ont donc que peu de marge de manœuvre pour proposer leur viande à bas prix. Ils ont encore moins de raison de changer les conditions de production, basées sur l’exploitation de travailleurs temporaires, ce qui explique en partie les désastres sanitaires de ces dernières semaines en Allemagne (Thomas Schnee, Le Courrier du 23 juin 2020). La PPA pose cependant une menace directe sur les producteurs allemands: si un seul sanglier malade de la peste devait être découvert sur le territoire, l’ensemble du pays se verrait obligé d’interrompre ses exportations de viande porcine hors de l’Union européenne.

Le lobby agricole panique donc de bon droit, et se cherche un bouc émissaire. Celui-ci est tout trouvé: le sanglier. Suivant la demande du lobby, plusieurs Länder ont déjà opté pour une politique de dernier recours: un grillage électrique a été construit sur 250 kilomètres de frontière avec la Pologne, joint à l’abattage systématique des sangliers dans la région frontalière, est censé créer une zone tampon pour empêcher le virus de passer en Allemagne.

L’efficacité de ces mesures a très tôt été contestée, car la chaîne de transmission du virus semble avant tout être d’origine humaine. Selon le Friedrich-Löffler-Institut, l’autorité allemande pour la santé animale, le manque d’hygiène dans les élevages est responsable de l’épidémie, et avant tout l’usage de fourrage et de moyens de transport contaminés et non nettoyés. De plus, selon la Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft (groupe de travail pour une agriculture paysanne), le transport de part et d’autre du continent d’animaux, de carcasses ou de déchets carnés favoriserait l’infection.

Plutôt que de remettre en question les pratiques de la filière viande, le lobby agricole fait diversion. Les deux crises sanitaires actuelles mettent pourtant en lumière le besoin de réforme de la branche. Peut-être est-il temps de tourner la page de la viande bon marché, et d’opter pour des conditions de production durables.

Notre chroniqueur est un historien romand établi à Berlin

Opinions Chroniques Séveric Yersin

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