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L’enfant, ballotté entre sa famille et les services sociaux

Chronique des droits humains

Dernièrement, nous venons de célébrer le trentième anniversaire de la Convention des droits de l’enfant conclue à New York le 20 novembre 1989. Le préambule de cette convention, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997, rappelle que les Nations Unies ont proclamé que l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales, que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté. Le préambule rappelle également que les Etats reconnaissent que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension. Enfin, ce préambule fait référence à la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959, qui proclame que l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après sa naissance1>Convention relative aux droits de l’enfant, du 20 novembre 1989, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 – RS 0.107.

L’article 5 de la Convention dispose que les Etats doivent respecter la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents de donner à l’enfant, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice de ses droits. Mais l’article 3 de la Convention oblige également les Etats à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être et à prendre à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

En Suisse, le code civil prévoit que les soins et l’éducation de l’enfant relèvent en premier lieu de la responsabilité de ses père et mère titulaires de l’autorité parentale. Les parents disposent d’une grande autonomie: ils doivent favoriser et protéger le développement corporel, intellectuel et moral de l’enfant, mais selon leurs facultés et moyens. Lorsque ceux-ci ne veulent ou ne peuvent assumer leurs devoirs, le bien de l’enfant est mis en danger et il appartient alors à l’Etat d’intervenir.

Cette intervention peut aller jusqu’au retrait du droit de garde et de l’autorité parentale sur l’enfant, ce qui représente une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La sensibilité publique plus vive, une définition plus extensive de la maltraitance et un renforcement notable des formes de dépistage et de dénonciation expliquent une visibilité plus forte des cas de maltraitance. Comme le relève la doctrine, cela représente un défi énorme car si l’Etat intervient de manière prématurée ou inopportune, l’intervention est considérée comme une immixtion inadmissible de l’Etat dans la sphère familiale et s’il n’intervient pas ou trop tard, l’Etat est jugé défaillant!

Un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme met en lumière ce dilemme2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 19 novembre 2019 dans la cause K.O. et V.M. c. Norvège (2e section).. La Cour a condamné la Norvège mardi dernier pour violation de l’article 8 de la Convention. Elle n’a pas considéré que le placement d’un bébé dans une famille d’accueil violait les garanties conventionnelles, compte tenu du sérieux avec lequel les autorités de protection de l’enfance avait mené l’enquête en vue du placement. Mais elle a considéré que la décision de cette même autorité de limiter le droit de visite des père et mère à deux visites de deux heures par année, augmenté à six visites par année après recours, contrevenait au droit des requérants à entretenir des liens avec leur fille.

Les requérants étaient des ressortissants norvégiens, nés respectivement en 1974 et en 1986. Ils eurent un bébé au mois de janvier 2015. Préoccupés par la santé mentale de la mère, sa toxicomanie et la présence de conflits conjugaux, les services de protection de l’enfance (Barnevernet) organisèrent un séjour de la mère et de la fille dans un centre familial. Quelques semaines après, la mère retira son consentement à ce séjour et les services de protection de l’enfance décidèrent alors d’une prise en charge d’urgence de l’enfant. Au mois de mai 2015, le bureau d’aide sociale ordonna le placement après avoir entendu onze témoins en deux jours, en présence des parents et de leur avocat. Le recours au tribunal de district fut également rejeté au mois de décembre 2015, les autorités judiciaires relevant que les tentatives pour aider les parents à surmonter les problèmes avaient été infructueuses et que les requérants avaient eu des difficultés à coopérer avec les services sociaux. Les décisions évoquaient aussi les condamnations antérieures du père pour des infractions graves, notamment pour des violences et des menaces.

Au mois de mars 2018, alors que l’enfant avait un peu plus de 3 ans, elle fut finalement rendue à ses parents, à la suite d’une décision de levée du placement prononcée par le tribunal qui s’est appuyé sur deux expertises concluant à l’aptitude des parents à prendre soin de leur enfant.

La particularité de cette affaire tient à ce que la procédure devant la Cour a été menée non seulement par les requérants, mais aussi soutenue par les gouvernements tchèque et slovaque. En effet, le Barnevernet [Service de protection de l’enfance] norvégien a été très critiqué, notamment dans les pays de l’Est européen, pour avoir pris des décisions de placement contestables, en particulier dans des familles dont l’un des parents était originaire de ces pays et où la notion de bien de l’enfant est perçue différemment de celle conçue en Norvège.

Notes[+]

Notre chroniqueur est avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes (AJP).

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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