Édito

Vote sans passion sur une poudrière

vote sans passion sur une poudriÈre
Vingt-six candidats, dont deux femmes, se présentent au premier tour de l'élection présidentielle, dimanche 15 septembre. La participation a été de 27,8% seulement. EPA/MOHAMED MESSARA
Tunisie

Dimanche, les Tunisiens se sont rendus librement aux urnes, dans le calme, sans tension apparente. Huit ans après sa Révolution de Jasmin, l’unique rescapé du Printemps démocratique de 2011 semble digne de sa réputation. Impression renforcée par la normalisation du mouvement islamiste Ennahdha, après plusieurs années de coopération gouvernementale avec feu le président Béji Caïd Essebsi. L’affrontement à couteaux tirés entre pro et anti-Ennahdha qui avait marqué les dernières élections générales de 2014, un an après les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi par des islamistes, paraît aujourd’hui bien lointain.

On pourrait s’en réjouir. On peut également s’en inquiéter. Car l’apathie apparente qui a saisi les Tunisiens survient dans un contexte social explosif. Chômage, marginalisation du Sud, corruption, désinvestissement public, les motifs qui poussèrent à renverser Ben Ali demeurent. Voire sont encore plus aigus aujourd’hui sous l’effet de la désindustrialisation et de l’endettement. Le nombre croissant de grèves, souvent spontanées, et de mouvements de protestation l’illustre à l’envi. Or le remède aujourd’hui avancé par la classe politique presque unanime – un accord de libre-échange avec l’UE (ALECA) – a partout échoué et ne fera qu’accélérer la course vers l’abîme. D’autant que le péril djihadiste, nourri par ce terreau délétère, est loin d’être écarté: parmi les principaux contingents présents en Syrie et en Libye, les islamistes tunisiens finiront bien par rentrer au bercail.

En l’absence de sondages fiables, impossible de prévoir qui – des vingt-six candidats – parviendra à émerger vers un second tour attendu à la mi-octobre. Mais il est peu probable que les deux finalistes proposent autre chose que la doxa conservatrice-libérale (fut-elle enrobée de populisme) qui dirige le gouvernement de ce pays depuis des lustres. La faute en grande partie à la gauche, plus divisée que jamais, qui est passée en huit ans d’inspiratrice et moteur d’une révolution sociale à élite déconnectée et groupusculaire. Triste.

Opinions International Édito Benito Perez Tunisie

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