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La Convention, garante des droits humains de l’Atlantique à Vladivostok

Chronique des droits humains

Mardi dernier, dans deux arrêts rendus simultanément, la Cour européenne des droits de l’homme a dit, à l’unanimité de la chambre, que la Russie avait violé les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des mauvais traitements), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 6 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 août 2019 dans l’affaire Sergey Leonidovich Magnitskiy et autres c. Russie (3e section){[(|fnote_stt|)]}>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 août 2019 dans l’affaire Sergey Leonidovich Magnitskiy et autres c. Russie (3e section) 2>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 août 2019 dans l’affaire Igor Vladimirovich Izmestyev c. Russie (3e section)..

Dans la première affaire, le requérant, qui avait été dirigeant d’un cabinet de conseil fiscal, notamment pour les filiales russes du plus gros fonds d’investissement étranger, s’était plaint des agissements de membres la direction des enquêtes du Ministère de l’intérieur qui procédaient à un contrôle fiscal. Par la suite, ce requérant fut accusé de fraude fiscale et arrêté. Il resta près d’un an en prison, jusqu’à son décès. Au cours de sa détention, il s’était plaint à plusieurs reprises de problèmes de santé, mais la prison où il était détenu n’était pas dotée des installations nécessaires pour le soigner. Il avait certes été transféré le jour de son décès dans une autre prison, mais avec beaucoup de retard, ce qui n’avait pas permis de le soigner. La Cour a jugé que les autorités russes avaient privé le requérant de soins médicaux importants et avaient ainsi manqué à leur obligation, découlant de l’article 2 de la Convention, de protéger sa vie.

La Cour a également considéré qu’il avait subi de mauvais traitements en prison, ayant dû partager une cellule de 20 à 30 m2 avec 8 à 15 autres codétenus, sans disposer d’aucun espace individuel pour dormir. Il a également reçu des coups de matraque en caoutchouc le jour de son décès. Si la cour estime que les autorités ont ouvert une enquête préliminaire dans les meilleurs délais après son décès, elle constate que cette enquête n’a pas été suffisamment complète et sérieuse, la Russie ayant violé les articles 2 et 3 de la Convention sous leur angle procédural.

La Cour a aussi condamné la Russie pour violation de l’article 5 de la Convention, car le requérant avait été détenu près d’un an pour des motifs qui ne pouvaient passer pour suffisants à justifier une telle durée. Enfin, la condamnation posthume, au mois de juillet 2013, du requérant pour organisation de fraude fiscale violait le droit à un procès équitable, notamment le respect du contradictoire en matière pénale et la possibilité pour l’accusé de comparaître en jugement. Le procès d’une personne morte méconnaît manifestement ces principes.

Cette affaire avait occupé l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe il y a quelques années et avait donné lieu à un rapport rédigé par le parlementaire socialiste suisse Andreas Gross3>Rapport n° 13356 du 18 novembre 2013, ainsi que résolution n° 1966 et recommandation n° 2031, consultables sur le site du Conseil de l’Europe, www.coe.int/fr/.

La deuxième affaire concerne un requérant, ancien sénateur, condamné à perpétuité pour meurtres, comme membre d’une bande organisée. Dans cette cause également, la Cour a condamné la Russie en raison des mauvaises conditions de détention et pour le motif que la détention provisoire avait duré la période considérable de trois ans, onze mois et douze jours, en étant autorisée par les juridictions internes sans motifs convaincants mais par des décisions rédigées en termes stéréotypés. La Cour a aussi considéré que le requérant n’avait pas eu droit à un procès équitable, car son jugement avait eu lieu à huis clos, sans audience publique et contradictoire.

La Cour estime également que la Russie a violé le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale en raison des restrictions apportées à la possibilité pour l’intéressé de recevoir des visites familiales au sein de la colonie pénitentiaire (seulement une visite tous les six mois). Enfin, la vidéosurveillance continue du requérant dans sa cellule, sans qu’il existe de motifs particuliers, par exemple psychiques, de l’instituer, viole également son droit au respect de sa vie privée.

Ces deux affaires illustrent l’importance concrète de la Convention européenne des droits de l’homme, et de son contrôle par la Cour, pour les près de 150 millions de personnes vivant en Russie.

Notes[+]

L’auteur est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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