Genève

Mineurs non accompagnés: «Personne ne nous écoute!»

Les amis du jeune requérant décédé au foyer de l’Etoile font part de leur désespoir et dénoncent leurs conditions d’accueil.
Mineurs non accompagnés: «Personne ne nous écoute!»
Face à la violence subie, le désespoir de ces jeunes est palpable. Leur douleur aussi. DR
Migrants

Le suicide d’un jeune Afghan, Ali, fin mars au foyer de l’Etoile, a une nouvelle fois mis en lumière le désarroi des requérants d’asile arrivés en Suisse mineurs et sans parents (RMNA). Depuis plusieurs années, des manquements dans l’encadrement et l’accompagnement de cette population doublement vulnérable est pointé du doigt. Sept amis d’Ali ont convoqué des médias ce week-end, par l’intermédiaire de l’association Solidarité Tattes, pour faire entendre leur voix.

«On est perdus. On est seuls. On ne peut pas parler de nos problèmes. On ne sait pas à qui. Aujourd’hui nous avons perdu Ali. Ce sera qui demain?», lance d’emblée Anthony*, ami du jeune Afghan. «On ne veut pas d’autres Ali. C’est pour ça que nous sommes là. Nous voulons parler avec des journalistes, parce que personne ne nous écoute. Rien ne change au foyer de l’Etoile.»

Le désespoir de ces jeunes est palpable. Leur douleur aussi. «Ali était notre ami, notre famille. Il était venu en Suisse pour construire une nouvelle vie, avoir un avenir», raconte Arash*. «Mais au foyer de l’Etoile, ce n’était pas possible de penser y arriver. La situation le tirait vers le bas. Il allait beaucoup mieux quand il était à l’hôpital, ou à Malatavie1>Malatavie est une unité de crise dépendant notamment des HUG. Dès qu’il rentrait au foyer, il replongeait.»

Le document filmé montre clairement des agents de sécurité portant des coups violents à un jeune. DR

Agents de sécurité violents

«Il y a beaucoup de violence à l’Etoile», insistent-ils. «Les agents de sécurité devraient nous protéger, mais au contraire ils nous frappent», affirme Matin*. Les jeunes parlent de brutalité récurrente, mais insistent sur un événement en particulier, qui a eu lieu en 2016, et qui a été filmé. «Cinq Protectas ont frappé Ali, après avoir déjà mis K.O. un autre mineur. Tout ça, parce qu’ils ne voulaient pas qu’ils se coupent les cheveux dans le salon.»

Les images sont fortes. On voit en effet un jeune étendu au sol, immobile. Puis des actes de violence, partiellement hors cadre. Si ce document ne donne pas d’indication sur l’origine du conflit, on voit bien des agents de sécurité donner des coups violents à destination d’un jeune que ses amis identifient comme Ali. «Celui qu’on voit au sol inconscient sur la vidéo n’a plus pu dormir au foyer pendant des mois. Il n’y arrivait plus. Il passait ses nuits au bord du lac», raconte Anthony.

Plus globalement, les conditions de vie au foyer de l’Etoile sont dénoncées par les jeunes. «Il y a toujours du bruit. L’hiver il fait hyper froid, l’été super chaud, explique Matin. On doit se faire à manger nous-même. Moi ça va, j’aime bien ça. Mais d’autres ne savent pas cuisiner. Les agents entrent sans demander dans nos chambres… Dans les autres foyers, plus petits, mieux encadrés, on peut bien vivre. Mais pas à l’Etoile.»

«Quant on dit que ça ne va pas, on nous répond que ce sont les politiques qui doivent faire changer les choses. Mais nous, comment on parle aux politiques?», interroge Anthony. Et Matin de suggérer: «Il faudrait que les responsables envoient un de leur proche qui a notre âge passer une semaine à l’Etoile, pour qu’ils se rendent compte des conditions. Parce que nous, on ne nous voit pas comme des êtres humains.»

Plainte déposée

Ariane Daniel Merkelbach, directrice de l’aide aux migrants à l’Hospice général, confirme l’existence d’un «incident grave» survenu en 2016 avec des agents de sécurité. «Quoi qu’il se soit passé avant, il est inacceptable qu’un agent frappe un jeune. Le Service de la protection des mineurs a d’ailleurs porté plainte contre l’agent, qui a lui aussi déposé une plainte. Il a reçu une petite sanction de la justice et son entreprise l’a retiré du site de l’Etoile.»

La responsable de l’Hospice affirme cependant qu’il s’agit d’un acte isolé. «Nous avons alors engagé huit intervenants de nuit, pour faire les rondes du soir avec une attitude de médiation, portée sur l’éducatif. Ils sont là en complément de la vingtaine d’éducateurs présents de 6h à 22h. Nous avons aussi organisé des cours de gestion des conflits pour les agents de sécurité. Depuis, ça se passe beaucoup mieux. Il peut bien sûr y avoir des frictions entre les jeunes et les agents, notamment à l’entrée. Mais si c’est le cas, les éducateurs interviennent.»

Ariane Daniel Merkelbach explique également qu’il y a tout un appareil d’écoute pour les jeunes. Que les interlocuteurs existent, et qu’ils sont entendus. «Mais c’est dur pour eux. Ils ne reçoivent pas forcément les réponses qu’ils attendent. Ils sont dans une situation très difficile. Ils font face à une montagne d’écueils, leurs rêves s’effondrent. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons demandé une concertation entre tous les acteurs de l’accueil. Pour clarifier les rôles, mieux les accompagner après leur majorité, pour réellement intégrer ces jeunes.»

*Prénoms d’emprunt

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