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Le Hezbollah, une force contre-révolutionnaire

Thawra!

Le Hezbollah a été et demeure une source inépuisable de débats tant au sein des milieux académiques que des divers courants de gauche. Certains le considèrent comme un rempart anti-impérialiste: le mouvement fondamentaliste islamique libanais serait ni plus ni moins une variante arabe de la théologie de la libération latino-américaine, qui vise une plus grande justice sociale et la réaffirmation d’une identité nationale face à l’«invasion des valeurs étrangères». Cette vision ne résiste pas à une analyse un peu plus poussée du mouvement.

Créé en 1982 en réaction à l’invasion israélienne du Liban, puisant ses racines dans les couches sociales chiites les plus pauvres de la population, le Hezbollah est devenu un parti qui reflète de plus en plus le chiisme de la classe moyenne et de la bourgeoisie grandissante – en particulier à Beyrouth. Même si, en théorie du moins, le mouvement poursuit sa critique populiste, l’opposition radicale du Hezbollah au système politique confessionnel et bourgeois libanais a beaucoup diminué depuis son entrée au parlement en 1992. Le parti n’a ainsi ni participé ni appelé ses membres à manifester aux mobilisations populaires de l’été 2015 menées par la coalition «Tu pues!» [en référence à la crise des ordures ménagères à Beyrouth], qui se sont radicalisées au fil des semaines.

De fait, le Hezbollah n’a jamais mobilisé sa base populaire sur des revendications purement socioéconomiques dans une perspective interconfessionnelle, bien que sa rhétorique porte sur les questions sociales. En dépit d’un discours populiste contre ce qu’il nomme le «capitalisme sauvage» dans son manifeste de 2009, le parti n’a pas développé d’alternative. Il continue au contraire de soutenir le capitalisme, le libre marché et les politiques néolibérales. La présence du Hezbollah au sein de tous les gouvernements depuis 2005 n’a fait que confirmer les politiques des gouvernements libanais précédents.

L’image d’un parti anti-impérialiste et progressiste se situe donc assez loin de la réalité. Le Hezbollah ne construit pas une contre-société ou un contre-projet en soi, comme on peut l’entendre dans certains rangs de gauche. Il tente d’islamiser le plus largement possible la population chiite, sans constituer une réelle menace pour le système politique libanais – et encore moins au niveau supranational. Il conforte au contraire les discriminations envers les femmes, les travailleurs et les réfugiés palestiniens et syriens. En outre, les services sociaux fournis par les réseaux du Hezbollah ne diffèrent pas de ceux administrés par d’autres communautés au Liban, si ce n’est par leur taille et leur efficacité, en favorisant la gestion privée, confessionnelle et patronale des risques sociaux. A l’échelle régionale, le parti a participé, aux côtés du régime Assad, à la répression du mouvement populaire révolutionnaire en Syrie et agi de concert avec les partisans impérialistes du statu quo.

Un projet véritablement contre-hégémonique exigerait une rupture avec le système politique libanais et une dénonciation de l’ordre impérialiste régional et international que le Hezbollah ne fournit pas. Le rôle que tient le mouvement au Liban et dans la région confirme qu’il ne représente pas un défi fondamental pour l’économie politique libanaise, mais qu’il est au contraire intégré au système en tant que fraction politique liée à la bourgeoisie confessionnelle. En ce sens, l’évaluation établie par le marxiste libanais Mehdi Amel1 value="1">Assassiné en 1987 à Beyrouth, très probablement par des milices fondamentalistes islamiques chiites. sur le comportement de la bourgeoisie islamique dans les années 1980 peut être appliquée à l’évolution du Hezbollah. Le philosophe relevait «l’aspiration des fractions de la bourgeoisie islamique à renforcer leurs positions dans la structure du pouvoir, ou plutôt à modifier la place qu’elles occupent au sein du système politique confessionnel, afin de mieux partager l’hégémonie et de ne pas changer le système. (…) cela conduira à un renforcement et à une consolidation du système politique confessionnel et non à sa modification ou à sa suppression. [Et finalement] à une aggravation de la crise du système.»

Dans une région témoin de soulèvements populaires continus et de changements politiques intenses et rapides, les contradictions du Hezbollah sont flagrantes. Le grand écart produit par la direction du mouvement islamique libanais, entre son soutien proclamé aux «opprimés du monde entier» et son orientation vers le néolibéralisme et l’élite politique, va probablement se révéler de plus en plus problématique à justifier auprès de sa base populaire.

Notes[+]

* Universitaire et militant de solidaritéS, auteur de Hezbollah, the Political Economy of the Party of God, ed. Pluto Press, à paraître fin 2016, www.press.uchicago.edu/books.html

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