Agora

Un massacre dans l’indifférence

BURUNDI • Malgré la recrudescence des violences, les réactions internationales demeurent timides, déplore Justine Hirschy. Aujourd’hui, le Conseil de droits de l’homme se réunit à Genève sur la question.

Vendredi 11 décembre, peu avant la levée du jour, les habitants de Bujumbura sont réveillés par des tirs continus et des explosions. Des groupes d’opposants armés attaquent simultanément trois sites militaires dans la capitale burundaise et en province. Alors que les quartiers sont bouclés et les habitants terrés chez eux, les forces de l’ordre repoussent finalement les assaillants après plusieurs heures d’intenses combats.

Au lendemain de ces attaques, le bilan officiel, tel qu’annoncé par le porte-parole de l’armée, est de 87 personnes tuées – 79 assaillants, 4 soldats et 4 policiers – et 45 prisonniers. Si le pouvoir ne fait pas état de pertes civiles, de nombreux témoins sur place décrivent avec horreur la présence de dizaines de corps jonchant les rues de la capitale samedi matin. Au gré des informations distillées au compte-gouttes, et dans un climat de confusion totale, se dessine au fil des heures une réalité effrayante.

Une véritable opération de «nettoyage» semble avoir été menée, dans la journée de vendredi, dans de nombreux quartiers de Bujumbura qualifiés de «contestataires». A Musaga, les forces de l’ordre sont rentrées dans les maisons pour enlever des jeunes hommes. Sur les réseaux sociaux, les photos macabres circulent par dizaines. On y voit des cadavres, tués d’une ou plusieurs balles dans la tête, les mains ligotées derrière le dos. Dans certains quartiers, les corps semblent avoir été déplacés et enterrés à la hâte dans des fosses communes, selon les dires de nombreux témoins. Le verdict populaire est sans appel: le gouvernement dissimule les preuves.

Ces évènements, qui font tristement écho aux heures les plus sombres du Burundi, sont les plus violents depuis l’annonce de Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat à la présidence en avril dernier. Cette candidature, contraire à l’accord de paix d’Arusha, a donné lieu à des manifestations massives, réprimées par la force. Si l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza en 2005 avait mis un terme à une longue guerre civile débutée en 1993, sa réélection est aujourd’hui source de vives tensions. Réinvesti en 2015, à l’issue d’un processus électoral boycotté par l’opposition, ce dernier n’a de cesse de réprimer ses opposants, accusés d’être à l’origine d’un coup d’Etat raté en mai dernier. Alors que les tensions s’intensifient de jour en jour depuis huit mois, le Burundi est aujourd’hui tombé dans la terreur et se retrouve au bord de l’explosion.

D’un côté, le mouvement contestataire qui était dans un premier temps pacifique et multiethnique se radicalise de jour en jour. De l’autre, le gouvernement ne cesse d’augmenter sa répression qui devient de plus en plus sanglante. Les forces de l’ordre sont responsables d’exécutions sommaires, touchant même les membres de la société civile. Plus de 200 000 Burundais – principalement des femmes et des enfants – ont d’ailleurs quitté le pays pour se réfugier dans les pays limitrophes. Illustration de cette dégradation sécuritaire, la Belgique, l’Union européenne, les Etats-Unis et le Canada ont demandé à leurs ressortissants, du moins ceux dont la présence n’est pas jugée essentielle, de quitter le pays le plus rapidement possible.

Malgré la recrudescence des violences faisant craindre une nouvelle guerre civile, les réactions internationales demeurent timides. Depuis le début de la crise, la communauté internationale limite son effort à des condamnations de principe, tout en demandant la reprise d’un dialogue inclusif. Depuis juillet 2015, une médiation est conduite par le président ougandais, Yoweri Museveni, avec l’aide de l’Union africaine. Les résultats se font pour le moment toujours attendre. Malgré le discours tenu par le parti au pouvoir, le président Nkurunziza ne semble pas enclin à la négociation.

Cela dit, le temps est-il encore à la négociation? Alors que le pays se retrouve à huis clos – le Burundi n’ayant plus de média indépendant depuis mai –, l’Union africaine et les Nations Unies se doivent de réagir. La session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui doit se tenir aujourd’hui jeudi à Genève, prendra-t-elle de réelles mesures afin d’éviter que l’histoire ne se répète? Afin de faire la lumière sur des possibles violations des droits humains, le Conseil souhaite lancer une enquête internationale. Mais ce dernier saura-t-il dépasser les importantes divisions internes qui ont jusqu’à présent limité son action au Burundi?

* Chercheuse à l’Institut des sciences sociales à l’université de Lausanne.

Opinions Agora Justine Hirschy

Connexion