Le Moyen-Orient aura-t-il bientôt son propre traité relatif aux déplacés?
D’après le rapport mondial 20151 value="1">www.internal-displacement.org/global-overview/ du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), le Moyen-Orient a enregistré l’année dernière plus de nouvelles personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) que l’Afrique centrale et l’Asie du Sud réunies. Pourtant, alors que l’Afrique dispose depuis 2012 d’un instrument2 value="2">www.internal-displacement.org/sub-saharan-africa/kampala-convention/ qui contraint juridiquement les gouvernements à protéger les droits des PDIP, aucun cadre semblable n’existe au Moyen-Orient, où peu de pays ont mis en place des politiques nationales spécifiques.
Théoriquement, les droits des PDIP dans le monde sont reconnus par les «Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays»3 value="3">www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzf6z.htm de 1998, en vertu desquels les gouvernements se doivent de protéger leurs citoyens. Ces principes ne concernent pas les personnes réfugiées hors frontières, dont le statut est régi par la Convention de 19514 value="4">www.unhcr.org/pages/49da0e466.html; pour en savoir plus: cf. «Réfugié et PDIP - faut-il faire la distinction?», www.irinnews.org/fr/report/100847/.
Dans la pratique, les PDIP sont souvent laissées pour compte. C’est actuellement le cas de nombreuses familles en Irak5 value="5">Cf. «Un observateur des Nations Unies fustige l’Irak pour le traitement réservé aux PDIP», www.irinnews.org/fr/report/101522/ et en Syrie6 value="6">www.syriadeeply.org/articles/2014/05/5427/syria-worlds-biggest-idp-crisis/, où l’ensemble des déplacés est estimé à près de 10 millions au total.
Etant donné le nombre croissant de PDIP dans la région et les risques économiques et sociaux qui en découlent, serait-il temps que les gouvernements du Moyen-Orient rédigent et mettent en œuvre leur propre version de la «Convention de l’Union africaine pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Afrique» (communément appelée Convention de Kampala7 value="7">Cf. «Afrique: Entrée en vigueur de la Convention pour les PDIP en Afrique», www.irinnews.org/fr/report/96995/)? «C’est une question de responsabilité nationale et les gouvernements de la région ont des manières bien différentes de réagir au problème des PDIP. Il serait bon qu’ils se réunissent, ne serait-ce que pour confirmer l’importance du problème et poser des principes communs», relève Beth Ferris, codirectrice du projet Brookings-LSE sur les déplacements internes.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, Chaloka Beyani, s’est lui aussi fait l’écho des appels à une solution régionale plus officielle et juridiquement reconnue au Moyen-Orient: «En Afrique, la Convention de Kampala offre aux Etats membres un cadre fondé sur le droit international qu’ils peuvent adopter puis mettre en application. (…) Un tel cadre serait tout aussi important pour le Moyen-Orient. Lors de mes récentes missions en Syrie et en Irak, j’ai pu voir à quel point les gouvernements sont peu préparés à répondre aux besoins des PDIP.» Selon M. Beyani, les Etats se sont jusqu’à présent montrés peu enclins à légiférer. Il cite l’Irak, qui a adopté une politique nationale en la matière en 2008, mais ne l’a pas appliquée pendant la crise actuelle.
Le vent semble cependant tourner. Le nombre de familles déplacées dans la région, sans parler de l’exode croissant de réfugiés syriens vers l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Turquie, pourrait inciter les gouvernements à réfléchir ensemble à la question des déplacements. Selon Mme Ferris, le prochain Sommet mondial sur l’action humanitaire8 value="8">Cf. «Sommet humanitaire mondial: discussions sans suite ou véritable moteur de changement?, www.irinnews.org/fr/report/101163/ pourrait aussi avoir un rôle à jouer, en appelant «à l’établissement de principes régionaux plus forts, y compris de cadres normatifs régionaux relatifs aux PDIP». Elle met cependant en garde contre le manque de volonté politique des pays.
Car les Etats eux-mêmes sont souvent les «principaux facteurs de déplacement», rappelle Alfredo Zamudio, directeur de l’IDMC, citant l’Irak, la Syrie et les Territoires palestiniens occupés (TPO): «Les gouvernements et les groupes armés non étatiques ont utilisé les déplacements comme stratégie de guerre, souvent pour tenter de changer la démographie. Il y a peu de chance que ces pays souhaitent créer un outil juridiquement contraignant.» M. Zamudio estime cependant que «l’ampleur actuelle» des déplacements dans la région pourrait les inciter à «engager des discussions sur la création d’un cadre de référence régional».
Le rôle croissant des pays du Golfe9 value="9">Cf. «Les pays du Golfe, nouveaux champions de l’aide humanitaire», www.irinnews.org/fr/report/100631/ dans le financement des interventions humanitaires locales (l’Arabie saoudite a par exemple alloué 500 millions de dollars d’aide à l’Irak en 2014 et le Qatar a envoyé des fonds aux Palestiniens) pourrait également, selon M. Zamudio, placer la question des déplacements parmi les priorités de la région. Il mise lui aussi sur le Sommet mondial sur l’action humanitaire, qui devrait se tenir à Istanbul en juin 2016. «Le Sommet pourrait réaffirmer l’importance des Principes directeurs pour guider nos actions et pousser les régions et les gouvernements nationaux à adopter leur propre législation contraignante et leurs propres politiques concernant les déplacements internes.» A suivre.
* Service d’informations humanitaires indépendant, www.irinnews.org/fr/
Notes