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Une difficile transition démocratique

BURUNDI • Petit pays de l’Afrique des Grands Lacs souvent cité en modèle de transition démocratique réussie, le Burundi s’embrase à la veille d’un cycle électoral prévu entre mai et août 2015 et voit ressurgir le spectre d’une nouvelle guerre civile.

Il y a trois semaines, le président sortant du Burundi, Pierre Nkurunziza, annonce sa candidature, pour un troisième mandat, aux élections présidentielles du 26 juin. Bien que contraire aux accords de paix d’Arusha signés en 2000 qui avaient mis fin à une décennie de guerre civile, cette candidature est validée par une Cour constitutionnelle en proie à de fortes pressions. Depuis lors, la capitale s’enflamme et des manifestants envahissent quotidiennement les rues de Bujumbura. Alors que les protestations sont réprimées avec violence par la police, au moins vingt-cinq personnes sont tuées, et des centaines d’autres sont blessées ou arrêtées.

C’est dans ce contexte que le général Godefroid Niyombare tente un coup d’Etat. Le 13 mai, profitant de l’absence de Pierre Nkurunziza en voyage en Tanzanie, le général annonce la destitution de ce dernier en affirmant son souhait d’une reprise rapide du processus électoral «dans un climat serein et équitable». Si, pendant quelques heures, une situation excessivement confuse prévaut dans le pays, le général reconnaît rapidement l’échec de son putsch, insuffisamment mobilisateur.
Bien que l’on ne connaisse pas encore le sort réservé aux putschistes, une augmentation des répressions est cependant à craindre. Certains, tel le défenseur des droits humains Pacifique Nininahazwe, parlent déjà d’une opération de nettoyage dans un hôpital de la capitale. Quant au général Godefroid Niyombare, ancien compagnon de lutte du président Nkurunziza, s’il annonce vouloir se rendre pacifiquement, il déclare toutefois craindre pour sa vie. D’ailleurs, éloigné plusieurs fois du centre du pouvoir par Nkurunziza, il faisait déjà les frais de son courage en février 2015: quatre mois à peine après avoir été nommé chef du puissant service des renseignements, il était limogé pour avoir conseillé au président de renoncer à briguer un troisième mandat.

Depuis l’indépendance du pays en 1962, pas moins d’une demi-douzaine de mandats présidentiels se sont terminés par un coup d’Etat ou un assassinat. Dans ce contexte, l’armée a toujours joué un rôle central. Mais depuis la signature des accords de paix de 2000, l’armée et la police, à l’époque majoritairement tutsies, ont intégré d’anciens rebelles hutus. Aujourd’hui, si des divisions subsistent dans les rangs de l’armée, celles-ci sont davantage d’ordre politique qu’ethnique et le processus d’intégration des Hutus est quant à lui jugé exemplaire.

Si de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’obstination du président Nkurunziza à briguer un troisième mandat, celui-ci jouit encore d’une grande popularité dans les campagnes. A titre d’exemple, ce sont des foules en liesse qui célébraient son retour après l’échec du coup d’Etat. Dix ans après être arrivé à la tête du pays, il est au cœur des antagonistes, mais qui est ce président et quel est son bilan?

Pierre Nkurunziza, dont le père politicien a été assassiné en 1972 dans une vague de violences ethniques, devient milicien en 1995 pour le compte du CNDD-FDD. A la fin de la guerre, cet important groupe rebelle se transforme en un parti politique et Nkurunziza en prend la tête. Elu tout d’abord président de la République par le parlement en 2005, il est réélu par la population en 2010 au cours d’élections boudées par l’opposition, qui y dénonce d’importantes fraudes.
Pendant cette période, le pays se relève lentement et les actes de violence tendent à diminuer, cependant le bilan de Pierre Nkurunziza reste mitigé. Le président jouit d’une certaine popularité, notamment, en raison de deux mesures phares de son premier mandat: la gratuité de l’école primaire ainsi que des soins de santé pour les mères et les enfants de moins de 5 ans. Beaucoup d’argent est aussi investi dans sa région, Ngozi. Cela dit, très peu est fait en matière de développement économique et social, de lutte contre la corruption, de justice transitionnelle ou encore de gestion des conflits fonciers, des questions majeures pour ce pays qui reste l’un des plus pauvres du monde. De plus, les opposants sont écartés du jeu politique à travers de fortes pressions, des détentions, voire des exécutions extrajudiciaires.

Le Burundi est un pays prioritaire de la coopération au développement pour la Suisse qui est principalement active dans le domaine de la liberté des médias et les processus de paix dans la région des Grands Lacs. Au début des années 2000, elle avait notamment joué un rôle substantiel dans la promotion d’un accord de cessez-le-feu au Burundi. Dans le contexte actuel, si la Suisse annonçait, à travers un communiqué daté du 29 avril, vouloir «poursuivre son soutien à un processus électoral inclusif et crédible», elle a depuis retiré cet appui, arguant que les conditions minimales n’étaient plus assurées. Koen Vervaeke, envoyé spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs, a également déclaré que, pour la Suisse, les Etats-Unis et l’Union Européenne, «le gouvernement du Burundi est le premier responsable de la situation actuelle».

Inscrites dans un contexte plus large, les violences préélectorales et la tentative de coup d’Etat remettent fortement en cause le processus amorcé de démocratisation. Dans les conditions actuelles, les élections qui devaient débuter le 26 mai devront inévitablement être reportées pour rester crédibles. En effet, alors que la campagne électorale débute, seule la radio-télévision nationale burundaise émet encore, limitant la possibilité de mobilisation des opposants en dehors de la capitale dans un jeu démocratique fortement biaisé par la présence des Imbonerakure sur tout le territoire.

Cette association de la jeunesse du parti au pouvoir, armée, serait, selon différentes sources, forte d’un million de membres (soit près de 10% de la population totale). Considérée comme une milice par les Nations Unies, elle pactiserait avec la police nationale. Alors que la population dénonce avec répétition les menaces et les violences subies de la part des Imbonerakure, leur potentiel de déstabilisation apparait réel.

Le risque majeur demeure, cependant, l’explosion du pays et l’embrasement de la région. Les dizaines de milliers de réfugiés arrivant dans les pays voisins contribueront sans doute à attiser des tensions. Le UNHCR dénombre plus de 105 000 nouvelles arrivées dans les pays limitrophes, principalement des femmes et des enfants qui craignent une nouvelle guerre civile. Les groupes armés présents sur sol congolais pourraient également profiter de ce chaos. Ainsi, l’équilibre précaire de la région dépend de la résolution de la crise de ce pays, à peine plus petit que la Suisse. L’enjeu est donc important pour de nombreuses puissances ayant massivement investi dans la résolution des conflits et le développement des Grands Lacs africains. De même, si les tensions du Burundi ne trouvent pas leur source dans des motifs ethniques pour l’instant, le souvenir du Rwanda de 1994 demeure très présent dans les esprits.

Opinions Agora Diane Crittin Justine Hirschy

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