Où passer ses vieux jours?
«Je suis indépendant». Tel est le leitmotiv de ce monsieur de 94 ans, quand on lui demande de quel genre d’aide il a besoin. Il vit seul dans son deux-pièces, fait ses courses, prépare ses repas et règle même ses affaires bancaires et postales sans soutien. Pour lui, le terme de procuration évoque tout de suite une mise sous tutelle. Il tolère juste qu’on lui fasse le ménage une fois par mois et confie sa lessive à sa fille. Une lessive qui se résume à peu de choses. Il n’aime pas demander de l’aide, ne veut rien devoir à personne. Il tient à sa liberté et à sa tranquillité. Et à vivre en retrait.
Sa femme de 90 ans voit les choses tout autrement. Voilà une année qu’elle est allée vivre dans un établissement médico-social (EMS). Après quelques chutes, elle ne se sentait plus en sécurité chez elle. Aujourd’hui, elle peut se doucher sans crainte, tricoter, chanter ou jouer aux cartes avec d’autres personnes et recevoir ses nombreuses visites. Elle connaît presque toutes les personnes qui vont et viennent dans l’EMS. Son seul souci tourne autour de son mari, quand il ne répond pas au téléphone. Elle aimerait qu’il prenne une chambre à côté d’elle.
Depuis qu’ils sont à la retraite, tous deux ont adapté plusieurs fois leurs conditions de logement: ils ont d’abord remis leur maison au profit d’un grand appartement dans le village, puis se sont contentés d’un trois-pièces et finalement d’un logement pour personnes âgées à deux pas de la Migros, de la pharmacie et de leur médecin. Ils ont parcouru de façon presque exemplaire toutes les étapes typiques du parcours des personnes vieillissantes, quand les besoins changent ou que les forces baissent. Alors que lui se sent en sécurité et décline toute aide, elle accepte avec reconnaissance le soutien que lui propose la famille ou la commune. Leurs besoins pourraient difficilement être plus différents.
De nos jours, seule une minorité de personnes âgées vit en institution. Même les 85-90 ans sont encore près de 80% à vivre à domicile. C’est uniquement chez les plus de 95 ans que la proportion passe à moins de 50%. D’où le rôle central des services d’aide et de soins à domicile (Spitex). Quand la personne ne peut plus rester dans ses propres murs, l’EMS est la forme la plus courante d’habitat organisé. On note à cet égard de grandes différences entre les régions linguistiques: en Suisse romande et au Tessin, où l’offre Spitex est bien développée, les besoins en matière de lits médicalisés sont nettement moins importants, d’après l’Office fédéral de la statistique (OFS). Une récente étude de la Haute Ecole de Lucerne relève que les autres formes d’habitat telles que «l’habitat encadré», les appartements médicalisés ou des logements adaptés aux personnes âgées avec prestations en fonction des besoins sont encore peu entrées dans les mœurs, du moins en Suisse centrale. Il faudrait aussi davantage de centres de jour ou places d’accueil d’urgence pour un séjour ambulatoire de courte durée.
L’étude susmentionnée a recueilli les besoins et les expériences d’un groupe cible de personnes de plus de 80 ans. Ces gens aimeraient rester à la maison aussi longtemps que possible et sollicitent pour ce faire la Spitex ou le service de repas à domicile. Mais ils apportent aussi une importante contribution personnelle, que ce soit en prenant soin de leur partenaire ou en assumant les coûts de la prise en charge. Les contacts sociaux, surtout entre voisins, sont jugés importants pour lutter contre l’isolement et la solitude, mais aussi pour renforcer le sentiment de sécurité. Les personnes âgées déplorent que leurs intérêts ne soient pas suffisamment défendus sur le plan politique – la vieille génération n’est pas assez entendue. Les autorités devraient à leur avis mieux anticiper la situation, faire preuve de plus d’ouverture et de vision à long terme, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social.
Les évolutions internationales indiquent également une tendance à l’habitat autonome. On trouve de plus en plus de projets de logements autogérés découlant d’initiatives personnelles et de formes de logements communautaires. Les services de soin et d’encadrement sont fournis «près du domicile» dans le village, le quartier ou la maison. Des centres de soins peuvent aussi assurer une prise en charge et des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Les besoins deviendront plus nuancés, les offres plus diverses et elles devront se combiner de façon plus souple et plus perméable. De brefs séjours ambulatoires, des lits pour les urgences ou une prise en charge à domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour une période donnée complètent le maintien à domicile. L’EMS ne sera plus la seule solution de rechange aux soins à domicile, mais une parmi beaucoup d’autres. Cette tendance devrait s’amplifier, quand la génération du baby-boom prendra de l’âge. Elle voudra pouvoir choisir, contrairement aux personnes âgées d’aujourd’hui.
En Suisse, jusqu’à trente mille ménages prennent eux-mêmes l’initiative d’employer des migrant(e)s du travail dans le domaine de la santé qui vivent et travaillent chez eux. Si la personne est engagée au noir, les soins et la prise en charge à domicile coûtent beaucoup moins cher que l’EMS. Mais si les conditions d’embauche sont légales, l’horaire de travail normal et le salaire équitable, les coûts mensuels sont plus élevés. Tout le monde ne peut ou ne veut pas se permettre une telle dépense qui n’est remboursée ni par la caisse maladie, ni par les prestations complémentaires. Cette économie arrange les finances publiques. C’est peut-être une des raisons expliquant que les rapports de travail illégaux ne sont guère réprimés.
Caritas intervient dans cette dynamique avec le projet «Entre de bonnes mains». En engageant à des conditions équitables des soignant(e)s originaires d’Europe de l’Est, l’œuvre d’entraide crée les conditions requises pour la réussite de cet arrangement spécial. Elle ne considère nullement la prise en charge vingt-quatre heures sur vingt-quatre par du personnel étranger comme la solution parfaite, mais comme une des nombreuses formes de prise en charge qui donnent aux intéressés une grande liberté de choix. Mais Caritas fait un pas de plus. La collaboration avec ses homologues d’Europe de l’Est poursuit aussi un but dans la coopération au développement. Elle ne fait pas seulement rentrer de l’argent dans les pays d’origine, mais assure aussi une formation dans le domaine des soins palliatifs et de la démence. Car ici comme là-bas, l’encadrement des personnes âgées soulève les mêmes défis.
*Responsable du projet «Entre de bonnes mains» de Caritas Suisse. Cette offre est pour l’instant disponible dans les régions de Zurich, Lucerne et Zoug uniquement.