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Vers une intervention de l’armée en Egypte?

CRISE • Dans un climat d’extrême tension, de grandes manifestations anti-Morsi sont prévues au Caire le 30 juin, appelant à la destitution du président égyptien. Pour Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient, ces prochains jours seront «décisifs» pour l’avenir de l’Egypte.  

Alors qu’approche le 30 juin, date anniversaire de l’entrée en fonction du président Mohammed Morsi, le premier civil élu démocratiquement chef de l’Etat égyptien, les présages d’affrontements s’accumulent. Certains annoncent des accrochages sanglants lors des manifestations prévues par l’opposition pour demander la démission de Morsi en ce jour anniversaire. Les rumeurs les plus folles circulent, les armes aussi.

Dans ce contexte troublé, on évoque à nouveau l’intervention de l’armée. Dans un discours, le ministre de la Défense, le général Abdel Fattah Al Sissi, a déclaré que «les forces armées ne resteront pas silencieuses face à la spirale qui entraîne le pays dans un conflit incontrôlable». Après avoir appelé à la fin des divisions, il a prôné une entente entre toutes les forces politiques avant le 30 juin. Mettant l’accent sur les relations «éternelles» entre les forces armées et le peuple, le ministre a expliqué «que ceux qui se croient capables de contourner ou d’affecter cette relation ont tort». La mission des forces armées est «de protéger la volonté populaire (…) nous ne pouvons garder le silence face à l’intimidation des Egyptiens1 value="1">Cf. «Egyptian General Warns Against Violence as Anniversary Approaches», New York Times, 23 juin 2013.». Rappelons que c’est en août 2012 que le président Morsi avait nommé Sissi au Ministère de la défense, décapitant ainsi le Conseil suprême des forces armées (CSFA).

Le lendemain des déclarations du général Sissi, le porte-parole de la présidence Ihab Fahmy a indiqué que le rôle de l’armée est de protéger les frontières et les institutions vitales de l’Etat et qu’elle n’a pas de vocation politique. «Nous avons un président dirigeant le pays d’une manière démocratique et nous ne pouvons imaginer le retour de l’armée.2 value="2">Cf. «Egypt’s presidency: Military won’t step in», Ahram online, 24 juin 2013.»

Les partisans de l’ancien régime n’ont jamais caché leur volonté de voir l’armée intervenir, d’autant qu’elle a connu très peu de bouleversements depuis la révolution. Plus étranges sont les propos de Hamdin Sabbahi, arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle de mai 2012, et qui déclare que «ceux qui ont crié à bas le pouvoir militaire ont fait un tort à la révolution3 value="3">Cf. «‘Down with military rule’ chant harmed revolution: Egypt’s Hamdeen Sabbahi», Ahram online, 24 juin 2013.».

C’est oublier un peu vite le bilan désastreux du CSFA, qui a dirigé le pays pendant près de dix-huit mois après la chute du président Hosni Moubarak en février 2011. Non seulement il porte une lourde responsabilité dans cette transition sans fin (il a fait adopter, avec l’aide des Frères musulmans, une feuille de route de la transition qui a conduit à l’impasse actuelle) mais, contrairement à ce que certains veulent faire croire, il a joué un rôle actif dans la répression violente des manifestations avant et après la chute de Moubarak.

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 10 avril 2013 le rapport accablant d’une commission indépendante remis au président Morsi en janvier 2013 et que celui-ci a gardé sous le coude4 value="4">«Egypt’s army took part in torture and killings during revolution, report shows», 10 avril 2013.. Il éclaire la manière dont l’armée a agi durant les semaines révolutionnaires, participant directement à la répression, torturant, faisant disparaître des jeunes dont on est toujours sans nouvelle. L’armée qui reviendrait demain au pouvoir n’est pas différente et n’agirait pas autrement.

L’Egypte est en crise. Les Frères musulmans et M. Morsi ont été incapables d’engager les réformes nécessaires et d’établir un dialogue national; l’opposition s’est alliée aux restes de l’ancien régime et a refusé aussi tout dialogue significatif avec le pouvoir. Enfin, les jeunes de la révolution, qui représentent une force non négligeable (plus importante que le Front de salut national qui regroupe l’opposition traditionnelle) si on en croit les sondages5 value="5">«After Tahrir: New Poll Findings from Egypt», Zobby Research Services, juin 2013., n’ont pas été capables de transformer politiquement son influence. Les jours qui viennent risquent d’être décisifs pour l’avenir du pays.
 

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* Paru dans «Nouvelles d’Orient – Les blogs du Diplo», http://blog.mondediplo.net

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