On peut définir l’éducation populaire comme un projet de transformation sociale. Pourtant aujourd’hui, pour l’essentiel, cette notion recouvre avant tout de l’animation socioculturelle.
Qu’est-ce que l’éducation populaire? On peut distinguer deux approches de la notion d’éducation populaire. La première est philosophique. On la trouve chez Paulo Freire. Elle désigne un projet de libération tournée vers la justice sociale.
La seconde renvoie au langage courant. La notion d’éducation populaire en France recouvre deux significations différentes. La plus commune est liée à l’institutionnalisation de l’éducation populaire. Il s’agit en réalité d’un secteur professionnel reconnu par l’Etat et recouvrant en grande partie l’animation socioculturelle. On peut dire qu’il y a eu un recentrage de l’idée d’éducation populaire.
En réaction à cela s’est constitué un courant minoritaire qui a pris le nom d’éducation populaire «politique» et qui essaie de faire vivre la définition philosophique de l’éducation populaire.
La notion de «populaire»: une catégorie problématique. Le terme populaire a toujours recouvert des ambiguïtés. Il peut désigner le peuple dans son ensemble. Cela pourrait alors être synonyme d’éducation du peuple par les élites. Une autre perspective, inspirée de l’éducation nouvelle, a pu voir l’éducation populaire comme des pratiques d’éducation reposant sur des méthodes actives, plutôt qu’une éducation transmissive organisée par des élites. Une conception d’inspiration plus socialiste fait de l’éducation populaire l’éducation des classes populaires dans le sens d’une émancipation sociale. Celle-ci a pu constituer le projet du syndicalisme, par exemple à travers les Bourses du travail au début du XXe siècle.
Pourtant, on peut se demander si la notion de peuple comme classe populaire est à même de pouvoir représenter le sujet de l’émancipation. L’idée de classe populaire induit un sujet principal par rapport à d’autres sujets politiques: les femmes, les personnes LGBT, les personnes racisées. La notion de peuple comme sujet de l’émancipation a connu un regain d’intérêt avec les philosophes Chantal Mouffe et Ernesto Laclau. Là, il s’agit non pas d’un sujet déjà constitué, mais à constituer à partir de revendications unifiantes.
Que ce soit la tradition marxiste ou la conception populiste de gauche, il s’agit de faire nombre. Ce qui est visé, c’est une stratégie majoritaire.
La place des minorités. Pourtant, il existe une troisième approche. Si on remonte au syndicalisme des Bourses du travail, celui-ci met en avant les minorités agissantes, qui ne sont pas pour autant des avant-gardes, dans la mesure où il s’agit d’ouvriers, et non pas d’intellectuels déclassés. Dans le discours syndicaliste révolutionnaire, les minorités agissantes dans les syndicats sont opposées aux majorités passives de la démocratie représentative. La conception syndicaliste révolutionnaire accorde une importance au rôle que les minorités jouent dans la transformation sociale.
C’est une idée que l’on retrouve dans le mouvement écologiste avec les travaux en psychologie sociale de Serge Moscovici sur la psychologie des minorités actives. Moscovici montre qu’une minorité a le pouvoir de faire changer d’avis un groupe entier.
Cette importance accordée aux minorités se retrouve également chez les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari dans les années 1970. Ils opposent ainsi les devenirs majoritaires aux devenirs minoritaires. L’étalon majoritaire (l’homme blanc hétérosexuel de classe supérieure) est antagonique avec les minorités: les mouvements féministes, homosexuels ou encore de travailleurs précaires. La minorité a ici un sens politique plutôt que numérique (puisque les femmes ne sont pas une minorité numérique). Néanmoins, c’est des marges sociales que ces deux philosophes attendent la transformation révolutionnaire.
Une éducation populaire depuis les marges. On peut discuter philosophiquement l’idée d’éducation populaire en se demandant si une éducation qui vise une transformation sociale est en réalité une éducation populaire. L’idée de populaire renvoyant ici à une éducation qui s’adresserait en premier lieu à une majorité numérique.
Or, il est possible de se demander si au contraire les mouvements d’éducation qui ont eu réellement une portée de transformation sociale n’ont pas été d’abord des mouvements en marges, portés par des minorités politiques, en dehors des cadres institutionnalisés.
Il ne s’agit pas nécessairement de dire que cette éducation ne doit pas être populaire, mais plutôt de se demander si elle est toujours d’abord populaire. Ne devient-elle pas populaire quand déjà, en réalité, il y a eu des minorités actives qui ont développé une éducation minoritaire?
Il nous semble alors qu’il faut distinguer deux questions différentes. La première est celle de l’étude de l’éducation politique produite par les minoritaires depuis les marges. La deuxième est celle de savoir comment les minorités actives parviennent à diffuser plus largement les idées qu’elles ont élaborées dans leurs éducations minoritaires.