Les systèmes de santé européens – tout comme ceux de notre pays – sont confrontés à de fortes tensions autour de leur financement mais aussi de leur gouvernance. Régulièrement, les parlementaires fédéraux et souvent le peuple doivent se prononcer sur l’une ou l’autre modification de la Lamal, seule loi fédérale qui régit la santé. Mais très peu de propositions questionnent l’organisation des soins encore grandement centrée autour de l’hôpital et du modèle biomédical qui s’est développé au cours du XXe siècle, s’accompagnant d’une amélioration des indicateurs de santé et de l’espérance de vie, il est vrai, et d’une prise en charge individuelle perçue comme bonne.
C’est ainsi que notre système de santé actuel est encore fortement axé sur la réparation de la santé et la prise en charge de la maladie, avec une médecine de pointe de plus en plus coûteuse. On a pu croire jusqu’à il y a une dizaine d’années que le principe de soins primaires, définis pourtant déjà par l’OMS dans la déclaration d’Alma-Ata en 1978 (prévention, promotion de la santé et préservation d’un environnement sain jumelées à des soins curatifs de proximité), étaient davantage une organisation valable pour les pays émergents et à faible PIB. Pourtant, l’OMS, dans un rapport de 20151>Building primary care in a changing Europe, Geneva WHO, 2015 by Kringos DS and all, affirmait une fois de plus que les systèmes dotés de haut niveau de soins primaires maîtrisaient mieux les coûts et obtenaient de meilleurs résultats en matière de santé que les autres, et que cela était vrai aussi en Europe.
Il faut en plus dire que les principaux défis de santé sont depuis de nombreuses années liés au vieillissement de la population, aux maladie non transmissibles et chroniques (obésité, diabète, maladies cardiaques et cancers), et moins aux pathologies infectieuses: les déterminants sociaux, économiques et environnementaux, les habitudes de vie prennent plus d’importance et l’aspect purement biomédical est – ou devrait être – moins omniprésent. C’est dire que le médecin de famille, généraliste ou de premier recours comme il est appelé, pour important qu’il soit, ne peut plus travailler seul dans son cabinet et que pour les cas complexes – de plus en plus nombreux dans une patientèle – l’évaluation de l’état de santé d’un patient et son suivi doivent être multidisciplinaires.
Cela implique un niveau de connaissance qui dépasse le soin individuel de chaque patient malade, mais doit comprendre une analyse médicale qui soit sous-tendue par une vision de santé publique, pour offrir la meilleure prise en charge, en tenant compte de la situation socio-économique et de l’environnement de la personne traitée. Cela veut aussi dire que des professionnels d’horizons différents qui collaborent autour d’un patient doivent s’efforcer de développer une «culture de soins» commune.
C’est aussi à ce niveau que doivent être bien évaluées et prises en charge les composantes de santé mentale des patients, souvent encore un peu négligées ou rapidement confiées à un spécialiste, par des soignants très axés sur la réparation physique. C’est aussi là que la «smarter medecine» (qui cherche à éviter la surmédicalisation) ou le concept de «one health» (qui vise à améliorer la santé des personnes, des animaux et de l’environnement en prenant en compte les liens entre ces différents domaines) prennent tout leur sens.
Souvent sous l’égide des responsables des Instituts de santé communautaire ou familiale universitaires, des projets pilotes naissent ou se développent autour de «Maisons de santé pluridisciplinaires» ou dans le cadre de soins à domicile. Des études cliniques voient de plus en plus le jour qui cherchent à mieux comprendre les besoins de santé des gens dans leur environnement, sortant ainsi des recherches biomédicales menées depuis toujours principalement dans le cadre hospitalier.
Il n’en reste pas moins que cette intégration des soins primaires est encore largement à construire, comme le montre un récent livre publié sous la direction du Professeur Nicolas Senn de Unisanté-Lausanne intitulé Imaginer les soins primaires de demain.
Hélas, encore trop de médecins généralistes, certes surchargés par leurs consultations privées, restent très marginalisés dans les soins à domicile, peu impliqués dans la nécessaire prise en charge holistique, et souvent appelés seulement lorsqu’un nouvel épisode aigu vient compliquer une prise en charge chronique, avec la difficulté supplémentaire qu’ils se déplacent de moins en moins à domicile (alors que les autres professionnels des soins le font!). Mais peut-être que le modèle de rémunération des médecins de premier recours devrait être repensé (mais c’est un autre sujet, quoique!)
Notes