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Respecter les directives anticipées

Chronique des droits humains

Le 17 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que l’Espagne avait violé l’article 8, qui garantit le respect de la vie privée et familiale, lu à la lumière de l’article 9, qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion, pour avoir imposé à une patiente, adepte des Témoins de Jéhovah, des transfusions sanguines lors d’une intervention chirurgicale d’urgence, alors qu’elle avait fait part de son refus catégorique d’accepter de telles transfusions1>Arrêt CrEDH du 16 juillet 2024 dans la cause Rosa Edelmira Pindo Mulla c. Espagne (Grande Chambre)..

La requérante, née en 1970, fut traitée au mois de mai 2017 en ambulatoire dans un hôpital public espagnol pour un problème de rétention urinaire. Des examens médicaux réalisés au cours de deux mois suivants permirent d’établir que son problème était dû à la présence d’un fibrome utérin. Il fut alors conseillé à l’intéressée de subir une intervention chirurgicale (hystérectomie et double salpingectomie) pour le faire retirer. La requérante s’est ralliée à cet avis tout en informant l’hôpital qu’elle refusait les transfusions sanguines, suivant en cela les enseignements de sa communauté religieuse.

Le 4 août 2017, dans la perspective de l’intervention chirurgicale, elle rédigea deux documents dans lesquels elle indiquait son refus des transfusions sanguines, même si sa vie était en danger. Le 6 juin 2018, la requérante fut admise à l’hôpital pour une grave hémorragie interne, qui était à l’origine d’une forte anémie. Un médecin s’entretint avec elle de la possibilité d’une transfusion sanguine, qu’elle refusa par écrit. Le lendemain, elle fut transférée en ambulance vers un hôpital de Madrid connu pour sa capacité à pratiquer des formes de traitement n’impliquant pas de transfusion sanguine.

Au cours du trajet, le médecin avertit les médecins de l’hôpital madrilène que la requérante se trouvait dans un état très grave. Au vu de cet avertissement, ces médecins contactèrent la juge de permanence pour obtenir des instructions. Cette dernière autorisa la mise en œuvre de toute procédure médicale ou chirurgicale pour sauver la vie de la patiente. L’intervention chirurgicale d’urgence eut lieu et comme des saignements importants se produisirent pendant l’opération, trois transfusions de globules rouges furent administrées. Le lendemain, elle fut informée des faits qui s’étaient produits pendant l’opération et exprima son désaccord. Elle entama alors, par principe, une procédure en annulation de l’autorisation de la juge qui n’aboutit pas.

La Cour rappelle que dans le domaine des soins de santé, le respect de l’autonomie personnelle est un principe général et fondamental, protégé notamment par la règle du consentement libre et éclairé. Un patient doté de la capacité juridique qui a été dûment informé de son état de santé et des traitements disponibles, ainsi que des implications du choix de n’accepter aucun traitement, a le droit de décider librement de donner ou de refuser son consentement à un traitement. En ce qui concerne le refus de traitement, même s’il pouvait conduire à une issue fatale, l’imposition d’un traitement médical à un patient adulte et sain d’esprit sans le consentement de celui-ci s’analyse en une atteinte à son intégrité physique mettant en cause les droits protégés par l’article 8 de la Convention.

C’est la première fois que la Cour aborde directement le droit de refuser un traitement médical, en particulier de s’opposer aux transfusions sanguines pour des motifs religieux. Elle avait toutefois antérieurement abordé incidemment cette question dans deux affaires concernant la Russie qui avaient trait à la dissolution et à l’interdiction d’organisations de Témoins de Jéhovah dans ce pays. Elle avait alors considéré que même si l’intérêt public à la protection de la vie et de la santé des patients était légitime et très vif, l’intérêt à l’autonomie des patients était plus vif encore, et que la liberté de choix et l’autodétermination constituaient en elles-mêmes des éléments fondamentaux de la vie. Elle avait ajouté qu’en l’absence de toute nécessité de protéger des tiers, l’Etat devait s’abstenir de commettre des ingérences dans la liberté de choix des personnes en matière de soins de santé2>Arrêts CrEDH du 10 juin 2010 dans la cause Les Témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie (1e section) et 7 juin 2022 dans la cause Taganrog LRO et autres c. Russie (3e section).. L’arrêt est intéressant en ce qu’il s’appuie notamment sur la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du 4 avril 1997, dite convention d’Oviedo, à laquelle a également adhéré la Suisse3>RS 0.810.2 en vigueur pour la Suisse depuis le 1er novembre 2008.. En particulier, l’article 9 de cette convention dispose que les souhaits précédemment exprimés au sujet d’une intervention médicale par un patient qui, au moment de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer sa volonté seront pris en compte.

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