Au Sénégal, le casse-tête de l’immigration clandestine
C’est un drame sans fin: le Sénégal se vide chaque jour un peu plus de sa jeunesse, qui fuit par dizaines à bord de pirogues surchargées. Depuis que la surveillance est renforcée en Méditerranée, la route de l’Atlantique, particulièrement dangereuse et mortifère, est de plus en plus empruntée. Le 8 septembre, un ixième drame est venu semer le désarroi à Mbour, une ville de pêcheurs située à quelque 50 kilomètres au sud-est de Dakar, d’où partent régulièrement des pirogues qui tentent de gagner les îles Canaries, à quelque 1500 kilomètres de là. Des dizaines de corps ont été repêchés, puis rendus aux familles éplorées, massées sur la plage, en état de choc après avoir reconnu l’un des leurs.
Le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, qui a pris ses fonctions le 2 avril dernier, affronte à son tour les drames d’une migration irrégulière que rien, pour l’heure, ne semble pouvoir enrayer. Lors de sa campagne électorale, ses promesses avaient suscité beaucoup d’espoir. Au mois de juillet, quelques jours après un nouveau naufrage de pirogue, le premier ministre Ousmane Sonko avait lancé un appel à la jeunesse pour qu’elle reste au Sénégal, tout en affirmant que «l’avenir du monde se trouve en Afrique», ce qui avait suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. «Nous cherchons à survivre et non l’avenir du monde», lui avait aussitôt rétorqué un certain Tahir Issa Moussa.
Les nouvelles autorités promettent régulièrement la création d’emplois destinés aux jeunes, mais cela prend du temps. Parallèlement, elles ont lancé le 15 août l’«opération Djoko» – des forces de l’ordre qui patrouillent sur le littoral pour empêcher les départs de migrants clandestins depuis les côtes sénégalaises. En l’espace d’une dizaine de jours, quelque 450 personnes ont été interpellées. L’opération a suscité les critiques de celles et ceux qui estiment qu’une réponse sécuritaire n’est pas la bonne face à un problème avant tout économique et social. Car si autant de personnes, toujours plus jeunes, continuent à tenter l’aventure, c’est le plus souvent parce qu’elles estiment qu’elles n’ont aucun avenir dans leur propre pays.
Dans la foulée du naufrage du 8 septembre au large de Mbour, le maire de la ville, Cheikh Issa Sall, a à son tour lancé un appel poignant à la jeunesse locale, rappelant les efforts de sensibilisation déjà entrepris, impliquant les imams, les conseils de quartiers. «Tout le monde s’y est mis, mais malheureusement, jusqu’à présent, c’est comme si ce phénomène s’était accéléré», a-t-il déploré. Selon lui, il n’est pas possible de dire précisément quelles en sont les causes. Certes, pour certains, c’est le chômage qui l’explique; mais d’autres, qui décident de tout quitter, ont un travail qui leur permet de vivre, a-t-il constaté. Le départ pour l’Europe, voire même plus loin, jusqu’en Amérique latine, représente également un véritable business qui irrigue une part non négligeable de l’économie sénégalaise, avec ses passeurs, ses rabatteurs, ses propriétaires de pirogue, les contributions des familles qui attendent un «retour sur investissement», les féticheurs et autres marabouts chargés de la protections mystique des candidats à l’exil.
Pour les nouveaux dirigeants sénégalais qui, contrairement à d’autres parmi leurs pairs, sont mobilisés pour tenter d’enrayer le phénomène, les défis à relever sont immenses. Le lendemain du drame au large de Mbour, la Marine sénégalaise interceptait deux nouvelles pirogues transportant plusieurs centaines de personnes. Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, au cours des cinq premiers mois de 2024, plus de 5000 personnes sont mortes en essayant de rejoindre l’Espagne par la mer. Il s’agit du nombre de décès le plus élevé depuis que l’ONG a commencé à collecter des données en 2007.
Catherine Morand est journaliste.