Chroniques

Rencontres cacaotées au Salon du livre

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Le Salon international du livre de Genève reprend cette année ses quartiers à Palexpo, du 22 au 26 mars, après plusieurs années d’éclatement en divers lieux de Genève, Covid oblige. Pour ce grand retour, la nouvelle équipe du salon a concocté un programme époustouflant, avec des dizaines de causeries, de débats, sur de nombreuses scènes, pour tous les goûts. Avec, pour les animer, une longue liste d’écrivains et d’écrivaines de premier plan.

Parmi eux, l’écrivain ivoirien Gauz’, dont le premier livre Debout-Payé, publié en 2014, fut tiré à 50’000 exemplaires, avant de sortir en poche l’année suivante. Dans son dernier ouvrage, Cocoaïans1>Lire la critique d’Amandine Glévarec, Le Courrier du 1er septembre 2022., Gauz’ n’a pas froid aux yeux puisqu’il fait un parallèle entre la poudre de chocolat, tirée du cacao dont son pays, la Côte d’Ivoire, est le premier producteur mondial; et la cocaïne, poudre blanche produite à partir des feuilles de coca en Colombie et ailleurs en Amérique latine. Deux poudres qui inondent le monde, certes, mais dont les revenus, pour les uns, sont dérisoires, et pour les autres, astronomiques. Pourquoi donc, se demande-t-il alors, la Côte d’Ivoire continue-t-elle à exporter ses fèves brutes, alors que les pays où sont produites les feuilles de coca, eux, les transforment, s’enrichissant ainsi considérablement?

Si bien qu’à la fin de son livre, il se projette dans le temps, et imagine qu’en 2031, son pays, la Côte d’Ivoire, aura créé un cartel du cacao, sur le modèle de celui de Medellin en Colombie. Avec, à la clé, l’interdiction de sortir un seul sac de fèves de cacao du pays; et l’obligation pour les pays occidentaux d’«acheter exclusivement de la poudre de chocolat, comme ils achètent de la poudre de cocaïne». Une manière provocatrice d’appeler de ses vœux à une transformation du cacao dans son pays d’origine, afin que les Ivoiriens puissent en tirer un juste revenu. Pour Gauz’, le parallèle ne s’arrête pas là, puisque les deux poudres, la blanche et la brune, sont des denrées récréatives, qui peuvent certes rendre accro, mais, affirme-t-il, «le monde ne s’arrêterait pas de tourner si l’on stoppait la production de cacao». Et puisque les prix payés pour le cacao sont toujours aussi misérables – comme le sont par ricochet les conditions de vie des cacaoculteurs –, il encourage la Côte d’Ivoire à en stopper la production.

Pseudo de plume d’Armand Patrick Gbaka-Brédé, Gauz’ est connu en Côte d’Ivoire pour ses coups de gueule, son parler vrai et ses outrances, mais aussi pour son humour décapant et son attachement à la terre qui l’a vu naître. Invité cette année du Salon africain du livre de Genève, il y parlera chocolat, mais aussi nouchi, l’argot ivoirien qu’il maîtrise parfaitement, comme d’ailleurs plusieurs langues nationales. Il sera également présent sur la Scène suisse2>«Mots de poing», causerie animée par Romaine Jean, dans le cadre des Grandes voix de la francophonie organisées par la section suisse de l’Union de la presse francophone, di. 26 mars à 11 heures, Scène suisse., pilotée par l’écrivain suisso-camerounais Max Lobe, où il côtoiera l’auteur et metteur en scène genevois Dominique Ziegler.

Ce dernier, par ailleurs chroniqueur au Courrier, a écrit sous la forme théâtrale une véritable saga du cacao – avec un coup de projecteur particulier sur son côté obscur – dont il parlera pour la première fois.3>Choc! Notre délice préféré, création commandée par le Théâtre Orchestre Bienne Soleure (TOBS), à l’affiche à Soleure, Bienne, Fribourg, Neuchâtel de sept. à déc. 2023. Il s’agit d’une mosaïque de courtes scènes qui illustrent la complexité de la question, se situant aussi bien dans une plantation de cacao en Côte d’Ivoire que dans le bureau d’un armateur suisse du XVIIe siècle dans le port de Bordeaux. Une rencontre «choc’» entre deux auteurs, à ne pas manquer!

Notes[+]

Catherine Morand est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand Est-ce bien raisonnable?

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion