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Un cadre strict pour la surveillance secrète

Chronique des droits humains

Le 28 mai dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Pologne avait violé l’article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la vie privée et du domicile, pour avoir adopté dans le premier semestre de l’année 2016 une législation autorisant un système de surveillance secrète sans garantie suffisante pour les personnes visées1>Arrêt CrEDH du 8 mai 2024 dans la cause Mikolaj Pierzak et consorts c. Pologne (1ère section)..

Le premier requérant est avocat et ancien président des avocats du barreau de Varsovie; les autres requérants sont des salariés d’organisations non gouvernementales, telles la Fondation Helsinki ou la Fondation Panoptykon. Ils ont requis au printemps 2016 de l’agence nationale de sécurité qu’elle leur indique s’ils avaient fait l’objet d’une surveillance secrète entre le 1er janvier 2012 et le 29 février 2016 et si les services avaient collecté à leur insu des données liées à leurs télécommunications. Il leur fut répondu que la loi ne permettait pas au fonctionnaire interpellé de répondre favorablement à leur demande. En 2017, ils saisirent le premier ministre et les responsables respectifs de différents services de police et renseignement de plaintes portant sur certaines dispositions de cette législation. Les services interpellés répondirent que les services spéciaux de l’Etat recouraient aux mesures de surveillance secrète prévue par la législation pertinente et que les moyens et méthodes qu’ils utilisaient étaient confidentiels et protégés en vertu de la législation topique.

La Cour rappelle les principes qu’elle avait énoncés dans un arrêt de principe concernant la Russie2>Arrêt CrEDH du 4 décembre 2015 dans la cause Roman Zakh c. Russie (Grande Chambre). en ce qui concerne l’interception des communications: certes, la prévisibilité exigée de la loi ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver à même de prévoir quand les autorités sont susceptibles d’intercepter ses communications de manière qu’il puisse adapter sa conduite en conséquence, mais le risque d’arbitraire apparaît avec netteté là où un pouvoir exécutif s’exerce en secret. L’existence de règles claires et détaillées en matière d’interception de conversations téléphoniques apparaît donc indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner. La loi doit donc être rédigée avec suffisamment de clarté pour indiquer à tous de manière adéquate en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures secrètes.

La Cour ajoute que même si la législation contient des dispositions qui délimitent l’étendue des pouvoirs des services de l’Etat, cela ne peut enrayer le risque de détournement de ce mode d’investigation par ces services. Il convient donc de compléter les mécanismes de contrôle des opérations de surveillance existants par les dispositifs appropriés susceptibles de garantir que les services n’outrepassent pas leurs attributions en la matière. Elle indique qu’un mécanisme de contrôle de surveillance secrète devrait préférablement s’appuyer sur un organisme de contrôle indépendant agissant de sa propre initiative et possédant les instruments juridiques nécessaires pour détecter les abus et lutter contre eux. L’organe de contrôle en question devrait être habilité à consulter toutes les informations, même classées, et être doté de pouvoirs d’investigation et des compétences nécessaires pour pouvoir ordonner la cessation des éléments interceptés obtenus et/ou conservés de manière illégale3>Arrêt CrEDH du 25 mai 2021 dans la cause Centrum för rättvisa c. Suède (Grande Chambre)..

Dans le cas particulier, la Cour constate que le système légal polonais mis en place ne comporte pas de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et le risque d’abus. Le champ d’application à raison de la matière et à raison de la personne n’est pas circonscrit avec une précision suffisante; la durée totale d’application de la surveillance est discutable et les règles relatives à la justification factuelle insuffisamment étoffées. Le système de contrôle a priori est insuffisant, la loi n’exigeant notamment pas du juge qu’il examine s’il existe un soupçon raisonnable à l’égard de la personne visée; aucun contrôle a posteriori n’est mis en place, notamment lorsqu’aucune procédure pénale n’est ouverte. Enfin, cette législation ne protège pas suffisamment les communications couvertes par le secret professionnel des avocats. Par ailleurs, le système de conservation des données protège insuffisamment la vie privée des individus, les services de police pouvant y accéder en permanence et sans restriction. Finalement, le régime de surveillance secrète prévu par la loi antiterrorisme ne prévoit pas non plus de garanties suffisantes, la mise en place de la surveillance n’étant soumise à aucune autorisation ou contrôle d’une instance indépendante, mais seulement au contrôle du ministre de la Justice et du procureur en chef.

En Suisse également, depuis des années, la surveillance secrète fait l’objet de débats nourris. Il est à cet égard intéressant de voir l’évolution de la jurisprudence qui pose des exigences toujours plus précises à la législation applicable.

Notes[+]

L’auteur est titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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