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Le capitalisme autoritaire (II)

Chroniques aventines

La présente chronique fait suite à celle parue dans l’édition d’hier et se base – comme elle – sur la lecture de Tout leur reprendre. Essai pour ceux qui ont intérêt au changement, un opus paru aux éditions Delga (2023) signé par Rémi Castay et Tibor Sarcey, deux analystes financiers se réclamant d’une aspiration révolutionnaire. Repérant une dérive autoritaire du régime capitaliste, nos essayistes en pointent l’acteur majeur: la bourgeoisie. Cherchant à en circonscrire le pourtour, ils notent qu’elle «est la classe sociale qui détient le pouvoir économique, et (…) entretient un rapport social d’exploitation avec les travailleurs. Elle (…) compte parmi ses rangs les grands actionnaires et les grands propriétaires fonciers et terriens. (Elle) intègre également ceux dont le rôle dans la structure sociale du capitalisme est de permettre et de garantir l’accumulation du capital et sa valorisation constante, (les) directions générales d’entreprises, (les) membres des conseils d’administration et (les) membres du gouvernement.» Faisant écho aux analyses de la sociologie critique, les auteurs évoquent bien d’autres caractéristiques telles que les réseaux, le système de pensée ou l’endogamie sociale, mais ils corrèlent celles-ci à leur définition classiste.

Pour qui entend proposer une théorie «opérante», il ne s’agit pas – soutiennent-ils – de se perdre en homélies contre la richesse mais de cibler qui tient les leviers orientant les grands moyens de production et d’échange, qui décide des besoins pris en compte et de ceux qui ne le sont pas, qui fixe les conditions de travail ou de relégation sociale. En face de la bourgeoisie ainsi désignée, nos auteurs tracent les contours de la classe adverse – celle des travailleuses et des travailleurs, constituée de personnes nées au pays ou immigrées, employées ou privées d’emploi. Ladite classe est – sans surprise – déterminée par le fait d’être contrainte de vendre sa force de travail pour vivre.

On s’accordera à saluer la reprise du concept de «classe» tant sa marginalisation a facilité l’ethnicisation des problèmes sociaux depuis les années 1970. Se pose, toutefois, la question de la stratégie que se doivent d’adopter les sujets de l’exploitation? Tout leur reprendre pose que le dialogue social et les relations pacifiées ont montré leurs limites. Depuis des décennies, renonçant à s’en prendre au cœur de la logique capitaliste, la gauche s’est laissée glisser sur une pente réformiste. Or, l’opposition parlementaire ne suffit plus – sans compter que les corps intermédiaires sont fragilisés et régulièrement négligés par les pouvoirs politique et économique.

Pour Castay et Sarcey, une stratégie nouvelle, révolutionnaire, doit être envisagée. Il convient, selon eux, de réclamer à nouveau frais le «passage au socialisme» – soit la prise du pouvoir d’Etat et l’autogestion économique. En d’autres termes, la suppression d’un régime de propriété visant la recherche du profit et la priorisation de la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux. En d’autres termes encore, l’extension des services publics et de la protection sociale: car tel est, selon nos auteurs, l’étiage d’une société émancipée.

La capacité à produire de la «richesse», de l’éducation, de la justice ou des soins n’étant pas l’apanage des services marchands, pourquoi sa validation sociale devrait-elle dépendre du marché plus que d’une démocratie aboutie, capillaire?

Peut-on escompter cette transformation radicale de moyens ordinaires: l’élection et la loi? Marx – on s’en souvient – dénonçait déjà le «crétinisme parlementaire» consistant à croire en l’abrogation du capitalisme par un vote. Force est de reconnaître que les faits ne l’ont pas fondamentalement contredit. Le sort de l’expérience républicaine espagnole de 1939 ou de celle d’Allende au Chili de 1973 (pour ne citer que deux exemples) rend, de fait, pessimiste. Face à ces légalités nouvelles, alternatives, issues des urnes s’est à chaque fois dressé un rapport de force puissant ourdi par le Capital national et international.

Dénonçant, comme Marx, l’illusion d’un «électoralisme magique», nos essayistes fustigent l’illusion symétrique d’un «grand soir» à venir – idée génératrice d’un attentisme mécaniste pareillement pendable, selon eux. Seule l’organisation patiente, réticulaire de collectifs effectifs, nichés au cœur de la société – lieux de vie et de travail –, peuvent préluder l’heureuse mutation espérée et avoir quelque chance de contrecarrer l’opposition inéluctable des possédants.

Plus que les élections ou les manifestations, la grève peut s’avérer la vectrice d’un tel processus; elle aiguise traditionnellement le niveau de conscience des travailleuses et des travailleurs, leur fait prendre la mesure de leur pouvoir sur la production. Parvenir à bloquer l’économie – même brièvement – établit la souveraineté véritable du Travail et affermit l’hypothèse d’une possible appropriation collective.

Une hypothèse à laquelle l’impasse systémique actuelle redonne crédit et souffle.

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lundi 8 janvier 2018

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