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Le capitalisme autoritaire (I)

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Le Courrier s’est dernièrement fait l’écho de l’apparition en Suisse d’une nouvelle formation politique ambitionnant la transformation radicale de la société. Le Parti communiste révolutionnaire – c’est son nom – devrait connaître son congrès fondateur en mai prochain.

Cette recrudescence des aspirations au dépassement du capitalisme serait-elle le révélateur d’une nouvelle phase de ce dernier? Posons-nous la question en nous aidant du récent opus de Rémi Castay et Tibor Sarcey, deux analystes financiers et – jusqu’à il y a peu – membres du Parti communiste français. Dans Tout leur reprendre. Essai pour ceux qui ont intérêt au changement (éditions Delga, 2023), ces auteurs actent d’abord l’échec du néolibéralisme, pointent ensuite l’agressivité nouvelle de la bourgeoisie et en appellent, enfin, à une nouvelle stratégie combative à son endroit.

Comme d’autres spécialistes avant eux, nos deux auteurs s’accordent à situer l’émergence du néolibéralisme dans les années 1970, mais ils font, en outre, de la crise financière de 2008-2009 une césure conséquente. On le sait depuis Marx, la rentabilité du capital s’essouffle non linéairement, mais tendanciellement. D’où les hoquètements relativement plus fréquents du système économique lorsque surviennent des crises de «suraccumulation du capital» – des phases, autrement dit, où le capital ne parvient plus à se valoriser.

Le néolibéralisme a tenté – quarante ans durant – de juguler ces stades critiques. De multiples façons. A l’échelle internationale, il a par exemple miné le système de Bretton Woods qui avait pour fonction d’éviter que les Etats signataires ne se livrent une concurrence trop débridée tandis que – lui aussi imprégné de la nouvelle doxa – le Fonds monétaire international (FMI) garrottait la concurrence nouvelle des pays du «tiers monde».

Au cours de la même période, l’évolution des techniques de l’information couplée aux politiques de libéralisation et de déréglementation des flux financiers dopait la sphère financière – permettant aux capitalistes de s’émanciper plus aisément de leur responsabilité nationale, de délocaliser leurs activités dans des pays à coûts salariaux et protection sociale modestes, de placer leurs avoirs dans des territoires à fiscalité modérée ou absente, voire à attendre désormais le profit de la spéculation financière bien davantage que du développement d’une production.

Comme – malgré tout – les rendements se tarissaient, les Etats ont été appelés à la rescousse; ils s’endettèrent pour maintenir les profits privés. Cet interventionnisme – au demeurant bien peu libéral ou orthodoxe – servit-il les peuples? Force est de reconnaître que non. Observons premièrement que cet endettement public massif ne s’est que rarement traduit par du développement industriel, des relocalisations ou même un arrêt des délocalisations. Remarquons, ensuite, qu’il a justifié d’incessantes attaques à l’endroit de l’Etat social dont la «générosité» parut dès lors infinançable et qu’il livra, enfin, la souveraineté des Etats aux marchés financiers – devenus leurs créanciers rigoureux…

Parallèlement, la lutte entre les entreprises pour l’accaparement de la survaleur donna lieu à des phénomènes de concentrations considérables, le plus souvent par le biais de fusions-acquisitions (dont un système complexe de sous-traitances masque la véritable ampleur). Au cœur même des entreprises, le management néolibéral vampirisa les relations de travail, brisant les collectifs, isolant les travailleurs et densifiant leur exploitation. S’en est suivi une recrudescence mille fois établie des souffrances au travail, une exacerbation des troubles musculo-squelettiques et psychiques dans la population active.

Mais revenons-en à présent à la «césure» évoquée en introduction. Sans précédent dans l’histoire de l’humanité, la crise financière mondiale de 2008-2009 a révélé plus que jamais la terrible déconnexion entre les exigences de rendement du capital et celles de l’économie réelle. Pour préserver des marges de manœuvre toujours plus minces – du fait des limites des «ressources» naturelles et humaines –, la bourgeoisie a négocié un virage autoritaire. Un tournant aujourd’hui perceptible dans maints pays d’Europe et du monde.

Jusque-là compatible avec un fonctionnement relativement équilibré des institutions issues des «Trente Glorieuses», le développement du capitalisme atteint, selon nos auteurs, «un stade supérieur de concentration et d’exploitation du vivant rendant nécessaire une révolution politique réactionnaire pour se déployer pleinement». Cette nouvelle phase voit la bourgeoisie «s’affranchir des barrières (se dressant devant elle) qu’elles soient d’ordre naturel, institutionnel, juridique ou encore qu’elles relèvent de contestations sociales, politiques ou citoyennes».

Gardons-nous d’un diagnostic trop timoré: le néolibéralisme comme cette nouvelle phase historique – plus autoritaire et brutale – n’ont pas dévoyé un capitalisme «vertueux» auquel il faudrait revenir; ils ont simplement accusé sa logique, affirment Castay et Sarcey.

Sans doute, la phraséologie de nos auteurs paraîtra outrée ou anachronique à certains; ils l’assument, cependant, considérant qu’il convient d’identifier précisément le levier de l’oppression et, partant, de lui réserver un vocabulaire doté d’une efficace politique. Une contradiction résolue et systémique ne saurait, pour eux, se fonder sur la seule indignation morale devant ce qui est: l’accroissement des inégalités, l’opulence outrancière de quelques happy few, etc. L’enjeu n’est pas une «simple» meilleure répartition des richesses, mais le bouleversement de la logique même du régime…

La suite de notre chronique, à paraître ce vendredi, révélera ce que cèlent ces énigmatiques points de suspension!

L’auteur est historien et théoricien de l’action culturelle(mathieu.menghini@sunrise.ch).

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lundi 8 janvier 2018

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