Chroniques

Le cauchemar de la «première fois»

Les écrans au prisme du genre

How to Have Sex (Molly Manning Walker, 2023, GB). Naguère c’est à Ibiza que les jeunes Européen·nes allaient pour «s’envoyer en l’air», maintenant c’est à Malia en Crète, une station balnéaire près d’Héraklion…

Trois amies britanniques décident de fêter la fin du lycée en allant une semaine dans un hôtel low cost de Malia, où tout est organisé pour «faire la fête» avec de l’alcool qui coule à flots et des clubs où s’organisent des jeux à connotation sexuelle, pas très loin des codes du porno le plus hétéronormé.

Le récit se focalise sur Tara qui s’est donné pour défi de perdre sa virginité, sous l’œil bienveillant de ses deux copines. Leur chambre avec terrasse donne sur la piscine, voisine avec celle de trois autres jeunes Britanniques, deux garçons et une fille venu·es aussi «s’encanailler», avec qui elles font connaissance.

Les premières séquences nous mettent dans le bain; les trois filles hurlent leur excitation d’être dans ce lieu festif au bord de la mer où elles vont se plonger dès leur arrivée au petit matin. Puis la musique assourdissante – à la limite du cauchemar pour les spectateur·rices – prend le relais pour accompagner les ébats des jeunes dans la piscine bondée, puis dans un club. On comprend vite que Tara est aussi terrifiée qu’excitée à la perspective de «coucher» pour la première fois. Elle se laisse approcher par l’un des jeunes gens de la chambre voisine, Badger, mais c’est finalement son copain Paddy, plus entreprenant, qui va «rafler la mise»: il suit Tara très alcoolisée sur la plage, l’entraîne dans la mer, puis la ramène frigorifiée sur le sable où il la déshabille et la pénètre, non sans avoir obtenu un «oui» plus soumis qu’enthousiaste. Cette séquence très peu romantique évoque plutôt l’expression «passer à la casserole». D’autant qu’on a entendu juste avant Tara expliquer à Paddy qu’elle n’a pas envie d’avoir du sable partout (comme on la comprend), ce qui laisse sceptique sur la réalité de son consentement. On ne verra pas l’acte lui-même sinon la main crispée de Tara sur le sable, et le garçon a déjà disparu quand elle revient hébétée au club où elle tente de se mêler à la foule qui danse, alors que la musique assourdie exprime sa paralysie sensorielle.

A partir de ce moment-là, Tara n’est plus que l’ombre d’elle-même; elle finit la nuit dans la villa d’un autre groupe de jeunes et revient au petit matin à l’hôtel où ses copines la cherchaient, de plus en plus inquiètes. Elle tente vainement de faire bonne figure mais la fête est désormais pour elle un cauchemar. Badger comprend qu’elle va mal et la raccompagne. Alors qu’elle est recroquevillée dans son lit, Paddy vient la rejoindre et tente à nouveau de la pénétrer malgré son refus manifeste. Le lendemain, il est déjà temps de reprendre l’avion, et ce n’est qu’à l’aéroport qu’elle arrive à avouer à ses amies que «ça» s’est mal passé.

How to Have Sex restitue de façon emblématique une expérience fréquente chez les filles dans les sociétés occidentales depuis les années 1970: une «première fois» traumatisante à la limite du viol, sous la pression sociale qui, sous prétexte de libération sexuelle, incite les filles à perdre leur virginité dès que possible, dans des conditions souvent calamiteuses, sinon traumatisantes.

* Historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

Opinions Chroniques Geneviève Sellier Les écrans au prisme du genre

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