Chroniques

Encore une femme pour incarner les pires travers de la société

Les écrans au prisme du genre

Bruno Dumont fait partie de ces cinéastes «auteurs» qui sont plus soucieux de montrer leur singularité que d’intéresser les spectateur·rices à l’histoire qu’ils racontent. Dans Ma Loute (2016), il utilisait le registre du burlesque pour faire la satire d’une bourgeoisie incarnée par des acteur·ices connu·es (Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valérie Bruni-Tedeschi) face aux non professionnel·les figurant par leur seule présence «l’authenticité» du peuple. Dans son dernier opus, France, c’est une star de la nouvelle génération (Léa Seydoux) qui porte sur ses épaules la charge satirique du film, cette fois-ci contre la «bourgeoisie journalistique», pour reprendre l’expression du réalisateur à «Arrêt sur images». France de Meurs est la journaliste star d’une chaîne privée: elle présente des émissions politiques et fait des reportages dans les points chauds de la planète. Son assistante (Blanche Gardin) organise tous ses faits et gestes en fonction des réseaux sociaux, avec une efficacité hors pair.

L’histoire commence quand France intervient dans une conférence de presse du président Macron (Bruno Dumont a très habilement utilisé une «vraie» conférence de presse où Macron répondait à Laurence Ferrari) et on la voit échanger avec son assistante des signes de connivence d’une vulgarité qui frise l’obscénité, au lieu d’écouter la réponse du président. Dès cette première séquence, Bruno Dumont fait adopter à ses actrices un jeu outrancier qui vise à casser toute vraisemblance et toute identification avec les personnages. France habite un appartement qui ressemble plutôt à un musée qu’à un logement; Benjamin Biolay incarne son mari sur son mode ectoplasmique habituel; les dialogues sont réduits à la portion congrue, alors que la caméra s’attarde jusqu’au malaise sur le visage de la protagoniste, d’abord satisfaite d’elle-même, outrageusement maquillée et habillée de façon clinquante, jusqu’à l’accident qu’elle provoque en renversant un motocycliste, et qui semble changer son rapport au monde extérieur. Elle fait une dépression, va se soigner dans une clinique de luxe des Alpes alémaniques, croit y trouver le grand amour, jusqu’à ce qu’elle découvre que son amant est un journaliste qui s’est fait passer pour un malade pour sortir un scoop.

Les péripéties s’enchaînent à grande vitesse sans que jamais on ne puisse y croire, tant la narration s’apparente au style d’un roman-photo (ce que Dumont revendique…). Les reportages dans les zones de guerre sont volontairement grotesques, et le film semble seulement intéressé à dépouiller progressivement sa protagoniste de toute sa superbe en la fixant longuement quand son visage se décompose jusqu’à la laideur.

Se «payer» la star la plus glamour du moment pour la soumettre à un traitement qui vise à lui faire perdre tout son charisme, voilà le pouvoir que déploie Bruno Dumont. Je ne peux m’empêcher d’y voir une illustration de la domination masculine dans le champ du cinéma d’auteur.

* Historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

Opinions Chroniques Geneviève Sellier Les écrans au prisme du genre

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