Édito

Salutaire parole

Salutaire parole 1
L’association Reconnaissance créée il y a deux semaines veut mettre en place des commissions composées de personnes tirées au sort pour que les victimes puissent partager leur récit. KEYSTONE
Genève

Disons-le, en matière de violences sexuelles, la justice pénale offre peu, voire pas de sentiment de réparation aux victimes. Si déjà les personnes ont le courage de porter plainte, le vortex judiciaire qui s’en suit et qui les confronte à nouveau à leur agresseur, peut même constituer une violence supplémentaire. Sans compter que leur parole, sans cesse confrontée, évaluée, remise en question pour en déterminer la crédibilité, n’a de place dans les prétoires que pour déterminer une culpabilité et calibrer une sentence. Peut-on espérer davantage de la justice pénale? Pas vraiment, si ce n’est que les magistrat·es qui la composent fassent preuve d’un peu de bienveillance et d’empathie au cours des procès.

>Lire aussi notre article: De la reconnaissance pour les victimes

Mais la vraie réponse semble émerger hors des tribunaux. Comme en atteste le mouvement #MeToo apparu en 2017 et qui en a sans doute fait davantage pour les victimes de violences sexuelles en sept ans d’existence que la justice traditionnelle n’en a fait pour elles en deux siècles de pratique. Et pour cause, une voix portée par un mégaphone libère bien plus qu’un verdict lu entre quatre murs, et un récit de violences partagé au grand public affranchit autrement qu’une déposition faite à la police. Car la parole, lorsqu’elle sert de moyen pour punir les agresseurs, n’a pas le même pouvoir de libération que lorsqu’elle est employée comme exutoire pour les victimes.

En France, la sortie du film Je verrai toujours vos visages en mars 2023 a mis en lumière l’existence d’une justice dite «restaurative», une démarche qui, justement, remet la parole au cœur du processus de réparation, allant même jusqu’à faire dialoguer des victimes et leurs agresseurs dans le but de reconstruire et de responsabiliser les deux parties respectivement.

A Genève, l’idée fait aussi son chemin dans le domaine des violences sexuelles. Sans confronter directement victimes et agresseurs, l’association Reconnaissance créée il y a deux semaines veut mettre en place des commissions composées de personnes tirées au sort dans la population, offrant des espaces sécurisés où les victimes pourraient raconter leur récit.

L’association fait le pari que le dialogue permettra de réparer les personnes concernées par les abus et, à terme, d’impliquer l’ensemble de la population genevoise dans la lutte contre ces violences. Un projet audacieux, qui mérite notre plus grande attention si l’on souhaite que le fardeau de la honte ne repose plus seulement sur les épaules des victimes, mais sur celles de la société toute entière.

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