La mort de Barbara Cartland

Féminisme

Qu’est-ce que Clara Zetkin aurait bien pu penser d’un roman de Barbara Cartland? Quand la militante féministe allemande meurt en 1933, la romancière anglaise et royaliste a 32 ans. Ses livres sont déjà traduits dans plusieurs langues et elle bat des records de vente. Tout le monde connaît Barbara Cartland. Personne ne connaît Clara Zetkin. Proche de la révolutionnaire Rosa Luxemburg, elle a proposé en 1910 une journée de la femme, qui est devenue le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes.

Depuis un siècle, on célèbre un droit de parole et de revendication accordé aux femmes à date fixe. Malgré les apparences, leur liberté est toujours comptée. Pour que règne le bon ordre du monde, elles doivent tenir la place que leur assignent les romans de Cartland. A une journaliste, cette dernière affirme qu’une femme réellement intelligente sait qu’elle peut régner à partir de la chambre à coucher en laissant croire à l’homme qu’il est le seul à décider.

L’une des propagandes les plus pernicieuses et massives produites par l’Occident

Pour Zetkin, il en va tout autrement: les murs de sa maison gênent plus la femme qu’ils ne la protègent. Le conformisme de Cartland nourrit une «histoire d’amour» qu’elle raconte inlassablement en changeant la couleur des cheveux de ses mannequins et le paysage de leurs étreintes figées. Le pire est que son lectorat est exclusivement féminin. Les dégâts qu’elle a pu causer sont difficiles à mesurer. L’eau de rose est un poison. Ses livres, qui continuent à se vendre à des millions d’exemplaires, anéantissent toute velléité de pensée et d’émancipation chez les femmes. Ils représentent sans doute l’une des propagandes les plus pernicieuses et les plus massive produite par l’Occident pour les réduire à l’esclavage avec leur consentement.

Sans oublier que les pseudo-­romans de Cartland ont nourri le poncif que la littérature se résume au sentimentalisme. Mais ni les femmes ni la littérature n’ont dit leur dernier mot: quand Clara Zetkin revivra, ce sera enfin la mort de Barbara Cartland.

Dernier titre paru: Dialogues des morts sur l’amour et la jouissance (Héros-limite, 2023).
Muriel Pic a traduit et préfacé Herbier de prison de Rosa Luxembourg (Héros-limite, 2024).

Muriel Pic Féminisme

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