Chroniques

Penser une transition juste

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

La réflexion sur la notion de «transition juste» est une question qui a pris de l’importance dans le contexte des enjeux sociaux liés aux changements climatiques et environnementaux. L’écopédagogie constitue une des approches pertinentes pour aborder cette thématique.

La percée de la «transition juste»

La notion de transition juste est apparue aux Etats-Unis à l’initiative d’organisations syndicales dans les années 1990 pour penser l’impact des questions environnementales sur les travailleurs et les travailleuses. Ces impacts, divers, peuvent être rattachés à des conséquences en matière de santé ou encore à des disparitions d’emplois liées à l’épuisement des ressources ou à des industries jugées trop polluantes. Reprise par la suite par des syndicats européens, la notion de transition juste se trouve maintenant au cœur des discussions publiques sur la transition écologique.

Outre l’impact sur les travailleur·euses, la question de la transition juste se pose également à un niveau international. Les conférences de chercheurs et chercheuses – en particulier des juristes anglo-saxons – sur la justice climatique insistent sur le caractère déséquilibré des responsabilités et des victimes. Du côté des émissions de gaz à effet de serre, historiquement, les pays du Nord global ont un poids prépondérant. Aujourd’hui, les puissances émergentes, comme la Chine, pèsent également significativement. Mais il ne faut pas oublier, comme le souligne le géographe Andreas Malm, que si la Chine émet autant de gaz à effet de serre, c’est pour produire des biens demandés principalement par les consommateurs et consommatrices des classes moyennes et supérieures des pays du Nord. A l’inverse, les chercheur·euses soulignent que ce sont bien souvent les populations du monde ayant le moins d’impact sur le plan écologique qui seront les plus touchées négativement par les changements climatiques et environnementaux. Ces juristes essaient de faire émerger de nouveaux droits au niveau international en faveur des populations les plus impactées. A l’inverse, délaissant ces dimensions de la réalité socio-historique, certain·es s’attachent davantage au poids de la natalité des pays du Sud qu’aux modes de vie des pays du Nord.

La question de la transition juste trouve également une illustration dans le mouvement des Gilets jaunes [dont la revendication initiale était d’abroger la taxe verte sur les carburants automobiles]. Ainsi, compte tenu par exemple du poids que constituent les voyages en avion dans l’empreinte carbone d’un ou d’une habitante, est-il légitime d’axer en priorité les mesures écologiques sur des décisions qui impactent en premier lieu les modes de vie des classes populaires stabilisées et des petites classes moyennes? Là encore, au lieu de s’interroger en ce sens, certain·es se concentrent davantage sur les modes de vie des classes populaires que sur ceux des classes sociales supérieures.

L’écopédagogie et la réflexion sur la justice en écologie

L’écopédagogie est un courant de recherche en éducation dont l’objectif est de favoriser la capacité des citoyens et des citoyennes à s’emparer des débats autour des controverses philosophiques concernant les questions de justice sociale et écologique.

Pour ce faire, l’écopédagogie reprend en le transformant le questionnement de la pédagogie critique autour de la justice sociale qui s’articulait autour des questions suivantes: «1) Qui bénéficie de cette situation? 2 )Y-a-t-il un groupe dominant? 3) Qui définit la façon dont les choses doivent être structurées? 4) Qui définit ce qui doit être valorisé ou dévalorisé?» (cité par la chercheuse Lyse Langlois). Du côté de l’écopédagogie, comme le signale Greg Misiaszek, il s’agit de se demander, en lien avec les dégradations environnementales: «Qui en profite? Qui en souffre? Et qui va en payer le prix?»

On comprend dès lors le lien entre les réflexions philosophiques sur la transition juste et l’écopédagogie qui vise à développer des pratiques didactiques pour favoriser le questionnement chez les citoyen·nes. Il est en particulier possible de mettre en évidence que, dans le questionnement sur la transition juste, des acteurs et actrices sociales s’intéressent au rapport entre les responsabilités en termes d’impact et les responsabilités en termes de coûts.

Or cette dimension tend à être occultée au motif que nous aurions tous un impact individuel sur l’environnement, donc tous une responsabilité individuelle égale. Ce qui laisse de côté le fait que certain·es ont davantage bénéficié de ces dégradations et ont eu un impact plus important sur l’environnement. Or il est évident que les groupes sociaux et les Etats qui ont le plus bénéficié de l’industrialisation n’ont aucun intérêt à formuler les problèmes en ce sens.

Au-delà même, l’idée d’une transition juste peut conduire à s’interroger sur la forme du système social et économique qui conduit à favoriser largement certaines classes sociales ou certaines populations du monde au détriment d’autres populations. C’est l’ensemble de ces discussions qu’entend favoriser l’écopédagogie.

Irène Pereira est sociologue et philosophe, cofondatrice de l’IRESMO (Institut de recherche et d’éducation sur les mouvements sociaux), Paris, http://iresmo.jimdo.com/

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