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Qu’est-ce que l’oppression ?

L'actualité au prisme de la philosophie

La notion d’oppression a connu une évolution dans sa conceptualisation. On trouve plusieurs auteurs et autrices contemporaines qui ont proposé une analyse de cette notion.

La pédagogie des opprimés. Historiquement, la notion d’oppression tend à désigner une situation politique caractérisée par une tyrannie exercée par un despote sur le peuple. Lutter contre l’oppression, c’est donc se libérer d’un assujettissement politique.

On peut distinguer l’oppression de l’exploitation qui est un terme utilisé par Marx et qui désigne plus spécifiquement un rapport économique.

Dans Pédagogie des opprimés (1968), Paulo Freire propose une conceptualisation de la notion «d’opprimé» et du rapport d’oppression. Bien que se situant en partie dans une perspective marxiste, il ne met pas en avant la notion d’exploitation.

C’est que la notion d’exploitation est plus spécifiquement centrée sur le rapport social inégalitaire entre capitalistes et prolétaires. Paulo Freire ne nie pas l’existence d’un tel rapport, mais il entend prendre en compte le rapport colonial.

La notion d’oppression est alors moins connotée politiquement et peut également faire référence à l’oppression subie par les esclaves.

Pour Freire, l’oppression est surtout caractérisée comme un rapport dialectique et conflictuel entre deux consciences. Celle de l’oppresseur qui est dans l’avoir. Celle de l’opprimé qui ne peut pas réalisé son être du fait de l’oppression. Mais l’opprimé se caractérise par une conscience double. Il tend à s’identifier à l’oppresseur. La pédagogie de l’opprimé entend proposer une prise de conscience du rapport d’oppression et orienter les opprimés vers une voix de libération qui passe par l’abolition du système oppresseur.

Deux conceptualisations féministes de ­l’oppression. En 1990, deux penseuses féministes étasuniennes publient chacune un ouvrage qui se propose de produire une conceptualisation plus précise de la notion d’oppression.

Marion Iris Young publie Justice and the Politics of Difference. Dans le chapitre 2 de cet ouvrage, elle distingue 5 faces de l’oppression. L’autrice entend se situer dans la perspective de la théorie critique et rompre de ce fait avec la théorie libérale alors dominante dans la philosophie politique. L’un des préalables à une telle position consiste à récuser une idée devenue hégémonique aux Etats-Unis durant les années 1980, à savoir celle qui consisterait à penser que la société n’est composée que d’individus libres. Pour l’autrice, la société est structurée par l’existence de groupes sociaux. Mais à la différence de la conception marxiste, la société n’est selon elle pas seulement divisée par un antagonisme entre prolétaire et capitaliste. Dans la lignée de la nouvelle gauche américaine, elle affirme la pertinence de différents autres mouvements sociaux, en particulier des mouvements féministes et anti-racistes.

L’oppression selon elle regroupe plusieurs dimensions. Tout comme Marx, elle reconnaît la pertinence du concept d’exploitation, mais dont elle ne fait qu’une des dimensions de l’oppression. En outre, elle ajoute comme autres dimensions: la marginalisation, le manque de pouvoir, l’impérialisme culturel et la violence.

De son côté, Patricia Hill Collins publie La pensée féministe noire. L’autrice se rattache au courant du black feminism. Dans cet ouvrage, elle utilise plutôt le concept de «matrice des dominations». Cependant le terme d’oppression n’est pas absent. Elle écrit ainsi: «La grande majorité des Africaines- Américaines ont été amenées aux Etats-Unis pour y travailler comme esclaves en situation d’oppression. L’oppression décrit toute situation injuste dans laquelle, systématiquement et durant une longue période, un groupe dénie à un autre l’accès aux ressources sociales.» Elle ajoute: «Nonobstant les différences de classe et les autres différences parmi les Noires étasuniennes, toutes étaient affectées d’une manière ou d’une autre par l’enchevêtrement des oppressions de race, de sexe et de classe.»

On peut remarquer que pour ces deux autrices, la notion d’oppression n’est pas utilisée en opposition ou en alternative à la notion marxiste d’exploitation au contraire de ce qu’on trouve chez les auteurs foucaldiens qui utilisent plutôt la notion de domination. La notion d’oppression est considérée comme englobant l’exploitation économique, mais comme permettant d’inclure également d’autres dimensions des rapports sociaux de pouvoir, mais aussi d’autres groupes sociaux que le prolétariat.

*Cofondatrice de l’IRESMO, Paris, https://iresmo.jimdo.com/

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