L’écopédagogie, de l’Amérique latine aux Etats-Unis
Née en Amérique latine, l’écopédagogie a connu une transformation lors de sa réception aux Etats-Unis.
L’évolution de l’écopédagogie
L’écopédagogie est née en Amérique latine dans les années 1990, d’abord au Costa-Rica avec Cruz Prado et Fernando Gutierrez, puis au Brésil avec Moacir Gadotti de l’Institut Paulo Freire du Brésil. Sa première version est fortement influencée par l’écologie intégrale du théologien de libération Léonardo Boff. Une particularité de l’écopédagogie est d’être une écologie non anthropocentrée, faisant de la Terre la plus grande exploitée – à l’instar des pauvres dans la théologie de la libération, dans les années 1970. L’écopédagogie latino-américaine s’appuie ainsi sur l’«hypothèse Gaia» [la Terre serait un organisme capable de s’autoréguler]. L’écologie intégrale de Léonardo Boff a par ailleurs eu une grande influence sur l’encyclique Laudato’ci du pape François.
Aux Etats-Unis comme dans d’autres pays, il existe des courants tels que l’éducation à l’environnement ou l’éducation au développement durable. Il existe également un courant influencé par la «justice environnementale». Ce dernier, apparu aux Etats-Unis au début des années 1980, dénonce un «racisme environnemental», sur le constat que les personnes les plus touchées par les nuisances environnementales sont les personnes pauvres et noires. Le mouvement de la justice environnementale a en particulier eu une influence sur l’éducation à l’écojustice de Chet A. Browers au début des années 2000. Aujourd’hui, cette approche est représentée entre autres par les canadiens Gina Thésée et Paul R. Carr.
C’est en 2010 que l’écopédagogie émerge aux Etats-Unis avec l’œuvre de Richard Kahn, pour sa part influencé par la «théorie critique» de l’Ecole de Francfort à travers les œuvres d’Herbert Marcuse et Douglas Kellner. Son approche est de type technocritique.
Qui bénéficie, qui paie, qui souffre?
Actuellement, l’écopédagogie de langue anglaise est plus particulièrement incarnée par Greg Misiaszek. Ce dernier revendique sa filiation avec Paulo Freire et est proche du directeur de l’Institut Paulo Freire de Californie, Carlos Alberto Torres. Paulo Freire n’a pas directement écrit sur l’écologie, mais il se réfère à la notion de «biophilie» d’Erich Fromm. Néanmoins, certains ont pu reprocher à l’œuvre de Freire d’être trop anthropocentrée et de baser sa réflexion sur une distinction ontologique entre l’humain et l’animal.
L’œuvre de Greg Misiaszek essaie de proposer une réponse à cette tension. Peut-on penser une écologie biocentrée (la planète comme sujet de l’écologie), mais qui prenne également en compte les inégalités sociales? En effet, la difficulté d’une approche biocentrée est de tendre à considérer l’ensemble des humains comme responsable à part égale des dégradations subies par la planète Terre (considérée comme un grand être vivant).
L’interrogation centrale de Misiaszek porte sur les relations entre violences environnementales et violences sociales. Il pense l’espèce humaine comme une espèce parmi d’autres appartenant à la planète Terre, en distinguant néanmoins entre «oppression» et «domination»: il renvoie la notion d’oppression aux êtres humains capables de s’auto-organiser pour résister, tandis qu’il réserve la notion de domination au vivant non-humain qui se distingue, selon lui, par le fait de ne pas être en capacité d’organiser des mouvements sociaux de résistance. La planète se défend en tentant de produire un nouvel équilibre interne.
Greg Misiaszek commence souvent ses écrits par cette question: «Qui bénéficie, qui paie et qui souffre de l’action humaine nuisible sur l’environnement?». Pour lui, la réponse à cette question est très complexe et elle constitue le cœur de la réflexion en écopédagogie.
Par exemple, la pollution urbaine peut impacter tou·te·s les habitant·es d’une ville. Mais certaines personnes, celles par exemple qui exercent des travaux peu qualifiés dehors, sont plus susceptibles d’être impactées. Un autre exemple concerne le téléphone portable: les modes de fabrication actuels permettent à une plus grande part de la population d’accéder à un smartphone. Mais les modalités de production des smartphones impliquent des dégradations environnementales et impactent socialement les travailleurs et travailleuses qui extraient les terres rares.
De ce fait, la complexité de l’écopédagogie consiste à mettre en lumière à la fois l’impact sur la planète, l’impact sur certains groupes sociaux plutôt que d’autres, et en même temps à montrer comment des groupes sociaux capitalistes peuvent chercher un profit et comment, au-delà, une grande majorité de la population peut tirer un profit à court terme de ce fonctionnement. La complexité porte ainsi, par exemple, sur l’intrication des positions pour une même personne entre son statut de travailleur·euse et de consommateur·trice.
* Sociologue et philosophe, ses recherches portent sur l’éducation populaire. Cofondatrice de l’Iresmo, Paris, iresmo.jimdo.com