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Les indignations qui tuent l’indignation

Pour appréhender et dépasser les crises actuelles de tout ordre, les indignations émotionnelles, forcément sélectives, sont vaines, voire «contreproductives», estime Stéphane Lathion: «L’indignation doit être porteuse de sens, d’engagement, d’actions sur la durée.»
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Les conséquences dramatiques du réchauffement climatique, la pandémie du Covid, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les massacres de civils qui détruisent tout espoir de paix au Moyen-Orient, tout cela met notre capacité d’indignation à contribution de façon récurrente.

L’émotion prenant si facilement le dessus sur la réflexion et la raison, il est d’autant plus simple d’encourager et de guider notre indignation selon les images chocs disponibles avant de zapper pour l’indignation suivante.

Bien sûr que nous traversons une période tragique et angoissante (pour les jeunes générations surtout, à qui le droit à l’insouciance est nié), évidemment qu’il faut dénoncer les conséquences dramatiques de comportements irresponsables sans pour autant abuser de la culpabilisation des foules; bien sûr qu’il faut refuser les horreurs perpétrées contre des populations civiles par des hordes criminelles tant en Ukraine qu’au Moyen-Orient…

Toutefois, ces indignations émotionnelles ne sont-elles pas contre-productives, dans la mesure où elles ne durent jamais que jusqu’à la suivante?

Notre capacité d’oubli collectif est impressionnante car, souvent, ces catastrophes ne sont que des répétitions: les alarmes aux risques de dégradation de notre planète rassemblaient des dizaines de milliers de manifestant·es dans les années soixante déjà! Le sommet de Rio pour le climat date de 1992. Que de temps perdu.

L’instabilité du Moyen-Orient n’est pas récente et nos pays portent une lourde responsabilité dans le cul-de-sac tragique dans lequel ces peuples se trouvent aujourd’hui; les intérêts économiques ont pris le dessus sur un engagement décidé pour l’application d’une solution acceptable pour tous les acteurs.

La même logique économique explique l’aveuglement européen face au caractère belliqueux du président Poutine qui, depuis son accession au pouvoir, n’a eu de cesse de guerroyer dans les républiques voisines: Tchétchénie, Géorgie, Ukraine. Les voix (Glucksman et Littell par exemple) qui dénoncent cette passivité européenne sont convaincues qu’une posture ferme de l’Europe aurait très vite refroidi les ardeurs belliqueuses du président russe.

Occasions manquées, indignations sélectives… Le meurtre au couteau d’un prof d’histoire en France va choquer quelques jours mais rien ne changera vraiment pour les victimes potentielles: la peur et l’angoisse restent leur quotidien et l’autocensure sera la riposte privilégiée afin de se protéger des violences de ceux qui rejettent les valeurs de l’école ­publique.

Moins d’indignation et un peu plus de courage serait peut-être plus efficace. Un courage de toutes et tous est indispensable et urgent. Un courage à tous les échelons afin que les valeurs facilitant un vivre ensemble malgré des différences puissent se concrétiser ou se consolider.

L’indignation doit être porteuse de sens, d’engagement, d’actions sur la durée pour espérer avoir une chance d’atténuer les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés. Beaucoup le font déjà, chacun à son niveau, avec un peu plus de discrétion peut-être plutôt qu’à travers des messes collectives via des réseaux sociaux, dont l’utilité reste très relative et ne dépasse rarement la bonne conscience et l’impact limité dans un temps très court.

Stéphane Lathion, Enseignant d’histoire, Genève.

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