«La nécessité de dénoncer les USA»
L’article de Benoît Bréville intitulé «Coup de poker», paru dans Le Courrier du 2 mars, mérite félicitations et remerciements. Alors que les médias de masse en Europe et en Amérique du Nord ne questionnent (presque) pas le fait que la diplomatie internationale soit remplacée par des dizaines de milliards investis pour poursuivre une guerre qui s’intensifie, tout en dépeignant les raisons de l’agression russe par une rhétorique simpliste (celle d’un dirigeant aliéné et nostalgique de la période soviétique voulant reconquérir des territoires), un article présentant une vision plus large du conflit apparaît comme une lecture essentielle. Depuis de nombreux mois, des voix discordantes se font entendre, venant justement des USA, pour proposer une approche critique, large et historique du conflit (Jeffrey Sachs, Chris Hedges, Richard Wolff, Seymour Hersh, Noam Chomsky pour n’en citer que quelques-uns). Leur postulat est limpide; depuis la chute de l’URSS, les USA, désireux d’instaurer un monde unipolaire où ils règneraient économiquement et militairement en maîtres incontestés, n’ont eu de cesse d’étendre les frontières de l’OTAN. Brisant les promesses faites à Gorbatchev, sourds aux protestations notamment des dirigeants européens (français et allemand entre autres), les dirigeants successifs étasuniens (Clinton, Bush) y ont ajouté 14 pays depuis la fin de la guerre froide. Les demandes diplomatiques du président Poutine quant à l’arrêt de l’élargissement de l’OTAN ont systématiquement été rejetées. En 2008, le président Bush plaide pour y intégrer l’Ukraine et la Géorgie, ceci afin contrôler la mer Noire et affaiblir la Russie. En 2014, les USA ont activement participé à la chute du président ukrainien Janukovych et commencé à fournir des milliards en armement au nouveau gouvernement pour la guerre du Donbass contre les minorités russes. Lorsque les présidents Biden et Poutine se sont rencontrés en juin 2021 à Genève, et que le second a encore plaidé pour l’arrêt de l’expansion de l’OTAN, le premier a répondu laconiquement que leurs portes resteront ouvertes. Depuis 1992, les USA n’ont cessé de renforcer leurs alliances militaires, stratégiques, économiques et géopolitiques contre la Russie. Ne pas accepter cette réalité est se voiler la face.
L’article de M. Bréville a été par la suite questionné de manière peu courtoise par M. Wassmer [Le Courrier du 17 mars], qui semble légitimer les envois exponentiels d’armes de plus en plus sophistiquées et propose une analyse à l’emporte-pièce, largement reprise d’ailleurs par de nombreux médias, avec un agresseur, une victime, et une seule issue au conflit: la résistance armée. Alors que les lecteurs et lectrices sont invités trivialement à «ouvrir les yeux», force est de constater que ses lignes traduisent justement un aveuglement coupable: celui de s’affranchir de toutes données empiriques, historiques et géopolitiques pour expliquer cette guerre atroce et qui doit être fermement condamnée, dans laquelle des centaines de milliers d’Ukrainiens et de Russes y ont déjà laissé leur vie. Inutile de remonter jusqu’au Vietnam; que M. Wassmer s’intéresse au rôle des USA ces trente dernières années en Syrie, en Libye, au Yémen, en Serbie, en Afghanistan, en Irak. Les USA arment qui ils veulent, imposent des sanctions à qui ils veulent, déclenchent des guerres sans le consentement de leurs alliés, et ne sont jamais mis sur le banc des accusés quant aux atrocités commises. M. Wassmer parle d’escalade russe permanente. Si les flagrantes provocations américaines depuis 1991 ne sont pas suffisantes, laissons volontairement de côté cette guerre de haute intensité en Europe et posons la question: comment faut-il qualifier la visite de Nancy Pelosi en août dernier à Taïwan? Ne pas y voir une énième bravade face à la Chine, deuxième économie mondiale, puissance nucléaire et alliée de la Russie, serait faire preuve d’une naïveté absolue quant aux ingérences systématiques de l’administration américaine dans la plupart des conflits armés de ces trente dernières années. Ecrire que la dissuasion nucléaire de l’OTAN est la barrière absolue contre un conflit qui pourrait dégénérer mondialement est une fermeture d’esprit tragique. Ce sont les diplomates qui pourront nous faire sortir de cette guerre, pas les marchands d’armes qui influencent tant les gouvernements. Plaidons pour un retour de la diplomatie, et ce le plus vite possible.