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«Solidarité avec les femmes du monde entier!»

En amont de la prochaine grève féministe du 14 juin, Huguette Junod rappelle que la plupart des revendications émises lors des grèves nationales de 1991 et 2019 sont toujours d’actualité.
Égalité

Les femmes ont défilé le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes. En Suisse, le 14 mars, comme le 14 de chaque mois depuis une année, elles se sont mobilisées pour préparer le 14 juin 2023, jour de la grève féministe, après celles de 1991 et de 2019. La première grève eut donc lieu le 14 juin 1991, dix ans jour pour jour après l’acceptation par le peuple de l’article constitutionnel sur l’égalité, avec pour slogan «les femmes les bras croisés, le pays perd pied», qui mit 500 000 femmes dans les rues, malgré des tentatives d’intimidation de toutes sortes. J’en étais.

Nous avons fait grève parce que, malgré son inscription dans la Constitution fédérale en 1981, l’égalité salariale n’était pas réalisée dix ans plus tard. Parmi les revendications figuraient le partage des tâches ménagères, le refus de la violence envers les femmes, la dépénalisation de l’avortement, le congé maternité.

A Genève, ce fut une journée festive, nous étions vêtues de fuchsia, la couleur recouvrait les pelouses des Bastions et semait des bouquets dans tous les lieux de la ville, comme dans l’ensemble de la Suisse. Une magnifique réussite. Nous pensions avoir montré au peuple et aux politiques que nous comptons et que si nous faisions grève, le pays était paralysé.

Certes, nous avons obtenu quelques avancées: le 18 décembre 1998 fut enfin votée la loi sur l’assurance maternité. Le 2 juin 2002, la dépénalisation de l’avortement. En 2004, la Suisse adopta le congé maternité, inscrit dans la Constitution depuis 1945. La Suisse était le dernier pays européen à l’octroyer, une honte!

En 2019, les femmes se sont à nouveau mises en grève, pour dénoncer les inégalités persistantes et la violence. La couleur était le violet, mais le groupe des «femmes indignes et indignées» avait gardé le fuchsia de 1991. Le cortège fut suivi, joyeux, animé. Nous avons brandi des panneaux, crié des slogans. Les femmes gagnent encore et toujours 20% de moins que les hommes.

Les politiques n’ont pas eu le courage de prendre des mesures de rétorsion envers les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale. Cette différence explique en partie que les femmes touchent des rentes AVS de 40% inférieures à celles des hommes. 80% des charges ménagères leur incombent, elles sont à la tête de 80% des familles monoparentales, elles représentent 80% des pauvres. Enfin, elles subissent la violence dans la rue comme dans le foyer.

Grâce à la grève de 1991, lors des élections fédérales de la même année, il y eut nettement plus de femmes élues: 42%, contre 36% en 2015. Nous avons alors cru que le rapport de force se modifierait et que la cause des femmes allait avancer. Hélas! Non seulement elle ne s’est pas améliorée, mais elle s’est péjorée: la récente révision de l’AVS s’est faite sur le dos des femmes, et on remet ça pour le 2e pilier. Comme si la majorité de droite était sourde aux revendications des femmes.

En plus, l’UDC veut remettre en cause le droit à l’avortement. Le projet prévoyant un congé paternité de deux semaines, indemnisé, a été accepté. Mais il n’est pas toujours demandé ni respecté. Le patronat renâcle. La conséquence est qu’une fois de plus, le poids d’une naissance repose sur la mère. Il y a en moyenne deux féminicides par mois, dus notamment à une société qui fonctionne sur le patriarcat. Et les femmes gagnent toujours 20% de moins que les hommes…

Nous sommes fatiguées de répéter les mêmes revendications depuis cinquante ans et de constater si peu d’avancées, voire des reculs. Mais nous continuerons à descendre dans la rue, à manifester, à faire grève, jusqu’au jour où les femmes auront les mêmes droits que les hommes dans les faits.

Nous scandons: «Sol, sol, sol, solidarité avec les femmes du monde entier!» avec les Afghanes enfermées, les Iraniennes pourchassées, empoisonnées, assassinées, les Péruviennes victimes de violences, les Indiennes brûlées à cause de dots prétendument insuffisantes, les Ukrainiennes sous les bombes ou loin de leur mari; avec les filles victimes de mariages précoces, d’excision, avec toutes les femmes dénigrées, méprisées, violentées, ridiculisées, opprimées, occultées, exploitées.

* Ecrivaine, Perly (GE).

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Dossier Complet

La grève féministe du 14 juin 2023

lundi 15 mai 2023
Une nouvelle vague violette se prépare à submerger la Suisse, quatre ans après la manifestation qui avait vu 500'000 personnes descendre dans la rue pour revendiquer l’égalité entre les sexes.

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