Pères au préau

Guillaume Rihs imagine un dialogue entre pères à la sortie de l’école.
Égalité

Deux pères regardent leurs enfants jouer; or, l’un des deux pères, c’est moi.
– Ils ont besoin d’air, après l’école.
– Les garçons au foot…
– … les filles se racontent des histoires.
Préau bétonné, pluie légère, bottes et ballons, les filles cachées dans les buissons, les garçons sur le terrain.
– Les cheveux longs, les bijoux…
– La bagarre!
– Ma fille veut se faire belle, ce qui signifie se maquiller et porter de jolies robes brillantes.
– Mon fils veut être fort. Depuis qu’il a un an: «Regarde comme je suis costaud.»
– «Je suis une princesse.»
– Sa passion? Les chantiers.
– Pas une fille sur les chantiers.
– On aimerait bien qu’ils…
– Ouais, on aimerait mieux qu’elles…
Deux pères sous le crachin tapent des pieds pour se donner chaud, tournent une heure en rond, laissant s’ébrouer petites et petits, persuadés qu’un moment de liberté s’impose, à 16h; et que font-elles et que font-ils de cette liberté?
– On s’efforce de leur donner un exemple pas trop…
– Non. Mais la pression par les pairs…
– Le monde étant ce qu’il est…
S’approche un troisième, semblable aux précédents, les bras serrés sur son manteau, gants et parapluie; je suis celui qui dit:
– On parlait des différences de genre chez les enfants. L’autre jour, j’ai accompagné la classe à la patinoire. Les filles: toutes chou; les garçons: que de la baston.
Les filles regardaient avec étonnement ces garçons cogner si fort, et voulaient me tenir la main. Le soir, à nos enfants, ces pères et moi lisons des histoires écrites par des artistes modernes, comme La petite princesse qui pue et qui pète. Quand s’approche un quatrième de nos semblables, nos filles et garçons tournent et hurlent, heureuses et heureux, tombent, pleurent, repartent à l’aventure, foot, tobogan, course.
– C’est la journée des pères, on dirait.
– Finie, l’heure des mamans!
– Maintenant, il paraît qu’on dit «l’heure des mamans et des papas».
– «L’heure des mamans, des papas et des nounous.»
Quelques minutes encore se refroidissent nos orteils, durant lesquelles il est question d’héroïnes au caractère trempé, aventureuses et drôles, de Fifi Brindacier, mais l’un des pères fatigue.
– Les gars, je me rentre. Allez, Sofia, c’est l’heure!
– Ciao, l’ami.
– Faut qu’on se boive un coup, un de ces quatre.
– Une bonne binche!
– C’est ça, ouais, une bonne bière entre mecs, à l’occasion.

Rencontre avec Guillaume Rihs sa 9 mars à 14h, Scène suisse. Dernier roman paru: Dangereuse vie de bureau (Slatkine, 2024). www.salondulivre.ch

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