L’IA fera-t-elle sa place à l’école?
C’est la révolution technologique de ce début d’année, que d’aucun·es comparent à l’invention du world wide web. L’intelligence artificielle (IA) ChatGPT fait sensation depuis sa sortie le 30 novembre dernier. Spécialisée dans la génération de textes, elle peut produire essais et poèmes, par exemple, mais aussi optimiser des codes informatiques ou paraphraser un extrait soumis. Un robot facile d’accès qui, moyennant la création rapide d’un compte pour l’instant gratuit (bien qu’une version payante soit déjà annoncée), répond à vos questions sur le ton de la conversation en générant quasi instantanément du texte ressemblant à l’écriture humaine.
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Les perspectives qu’ouvrent cette IA sont de nature à questionner le milieu scolaire. Très vite, des enseignant·es se sont inquiété·es des possibilités de triche qu’offrait cet outil, capable de rédiger une dissertation ou un exposé en un rien de temps. D’autres ont réfléchi à son usage, convaincu·es qu’il ne fallait pas résister au courant mais au contraire, former et accompagner les jeunes dans la prise en main de cette nouvelle machine. Malgré un faible recul, certains constats s’imposent déjà.
Très scolaire, mais superficiel
L’outil suscite une forme de fascination. Au premier essai, on s’émerveille de sa rapidité, de ses réponses cohérentes, quasi irréprochables au niveau orthographe et grammaire – et ce dans plusieurs langues, dont le français. Dans l’exercice classique de la dissertation, le robot s’en sort honorablement.
«Ce qu’il produit pourrait valoir un 4 ou un 4,5 (soit la moyenne voire un peu plus, ndlr)», estime Ralph Ettlin, professeur d’anglais et de philosophie et membre du bureau de l’Union, association faîtière des enseignant·es du secondaire II à Genève. Un résultat qu’il juge cependant «très moyen»: «Ce qu’écrit ChatGPT reste relativement superficiel et relève de lieux communs. En termes de structure et d’orthographe, cela reste plutôt bien écrit par rapport à un élève, mais il n’y a aucune forme de créativité.»
L’outil est ainsi à même de comparer des auteur·rices ou des concepts, en piochant dans une vaste base de données, elle-même nourrie jusqu’en 2021 d’interactions humaines pour lui permettre d’affiner ses réponses. Du pain béni pour des sujets d’examens basés sur des œuvres connues ou sur des objets de recherche très théoriques. «Si on a peur de cet outil, c’est qu’il remet en question une certaine conception de l’éducation. Et c’est sans doute tant mieux. Cela nous amène à repenser ce qu’est une évaluation pour sortir de la restitution pure et simple d’une connaissance», ajoute Ralph Ettlin.
«Refuser de s’en saisir me semble impossible, dès lors que son accès est si facile» Waël Almoman
Son collègue à l’Union et enseignant d’informatique, Waël Almoman, rappelle que la majorité des évaluations se déroulant en classe, la question de la tricherie sur évaluation «est secondaire. Je suis plus préoccupé par la posture du robot, qui répond de manière très sûre. Cette intelligence artificielle pourrait induire les élèves en erreur».
Car oui, ChatGPT se trompe, et sur un ton péremptoire qui plus est. Déjà parce qu’il est incapable, au contraire d’un moteur de recherche comme Google, de puiser du contenu d’actualité récente en ligne. Sa compréhension de la guerre en Ukraine s’arrête ainsi à l’annexion de la Crimée et à un éventuel soutien russe au Donbass. Des combats qui font rage depuis bientôt un an, pas un mot – ce qui devrait rassurer les journalistes, également inquiet·ètes de l’impact sur leur métier. Autre écueil, impossible de connaître les sources de l’IA. En insistant, tout au plus livre-t-elle partiellement des références de sites internet. Dans le lot, des adresses qui n’existent tout simplement pas!
Bientôt incontournable?
«C’est intéressant d’en parler, montrer aux élèves que l’IA est capable de faire des choses intelligentes, mais aussi absurdes, voire dangereuses», souligne un autre collègue enseignant. Et de citer l’émergence possible de théories climatosceptiques ou racistes via ce qui reste une machine, aucunement dotée d’éthique ou de morale. «Faire du copier-coller d’une proposition de ChatGPT est totalement insuffisant. En revanche, elle peut servir de coup de pouce, via une utilisation raisonnée, et permettre de s’interroger sur ce que l’on peut corriger ou améliorer. Le travail de l’être humain reste essentiel en termes de curation», souligne l’enseignant.
Waël Almoman abonde: «Refuser de s’en saisir me semble impossible, dès lors que son accès est si facile. Croire que cette machine remet en cause le métier d’enseignant est une peur primaire, mais elle pourrait au contraire nous servir dans notre rôle d’éveil des consciences.» ChatGPT est-il «un objet du monde» comme le décrit Ralph Ettlin, voué à faire sa place en classe comme la calculatrice, l’ordinateur ou Google avant lui?
L’avenir dira dans quelle mesure l’outil s’imposera dans les processus d’apprentissage. Pour l’instant, mais pour combien de temps encore, il semble encore peu connu des collégien·nes genevois·es, du moins d’après les retours des enseignant·es qui l’ont introduit dans leur classe. Si les initiatives en ce sens restent à cette heure individuelles, le Département de l’instruction publique réfléchit lui aussi à ces questions et devrait prochainement se positionner sur l’utilisation de l’outil dans le cadre scolaire. Des formations dédiées aux enseignant·es sont notamment en cours de préparation.
Choisira-t-il, comme le Evangelisch Stiftische Gymnasium, à Gütersloh (Allemagne), d’utiliser activement le robot en classe? Nous avons demandé à ChatGPT, voilà sa réponse: «Je ne peux pas prédire les décisions prises par les autorités scolaires ou les établissements scolaires individuels. Cependant, il est possible que des établissements scolaires expérimentent avec l’utilisation de technologies de traitement automatique de la langue, comme ChatGPT, en classe. Il est important de noter que l’utilisation de toutes les technologies en classe doit être évaluée en fonction de leur pertinence pédagogique et de leur capacité à améliorer l’apprentissage des élèves.» Voilà qui laisse encore une vaste marge de manœuvre aux pédagogues pour empoigner ChatGPT et les futurs logiciels similaires.