Chroniques

L’autobiographie ne justifie pas tout…

Les écrans au prisme du genre

De Mia Hansen-Løve, on avait bien aimé L’Avenir (2016) avec Isabelle Huppert, sur une femme d’âge mûr quittée par son mari pour une femme plus jeune (évidemment) et qui doit apprendre à vivre autrement…

La déception est d’autant plus grande avec le film Un beau matin, présenté – comme la plupart de ceux de cette réalisatrice – comme largement autobiographique: une femme dans la trentaine, Sandra (Léa Seydoux), veuve élevant seule sa fille Linn, doit faire face à la dégradation physique et mentale de son père (Pascal Greggory) atteint d’une maladie dégénérative. Le sujet est apparemment porteur – sans doute parce que le problème du grand âge devient central dans nos sociétés vieillissantes – puisque sur un thème analogue, Florian Zeller a fait un tabac avec The Father (2020), incarné par Anthony Hopkins face à Olivia Colman; et dans un registre plus intimiste mais avec plus d’humour, Tout s’est bien passé (2021), l’adaptation par François Ozon du récit d’Emmanuèle Bernheim, avec André Dussollier et Sophie Marceau, a fait un score honorable.

Mais la chronique de Mia Hansen-Løve ne décolle pas… La performance de Pascal Greggory est presque gênante, à force d’être répétitive, et encore plus les incursions «documentaires» dans diverses maisons de retraite de Paris et sa banlieue. Sans doute pour contrebalancer ce que peut avoir de profondément déprimant ce genre de situation, on a droit à une romance entre Sandra et Clément (Melvil Poupaud), d’une banalité confondante: Clément, l’ancien ami du couple, reparaît opportunément quelques années après la mort du mari de Sandra, et s’autorise enfin à lui manifester plus que de l’affection (bien qu’il soit marié et père d’un jeune garçon, mais peut-on résister à la passion?): les inévitables scènes de sexe permettent de montrer Léa Seydoux – qui était jusqu’alors est aussi mal fagotée que possible, le cheveu court et l’allure androgyne – dans le plus simple appareil, ce qui fait depuis La Vie d’Adèle une partie non négligeable de son caractère bankable.

Comme Clément est un gentil garçon, leur amour partagé se heurte à ses engagements familiaux: il la quitte par deux fois, mais finira par revenir (ouf!). Bien sûr, les protagonistes ont des métiers suffisamment prestigieux pour faire rêver… l’élite cultivée: Sandra est interprète anglais/allemand et navigue entre colloques et cérémonies internationales; Clément est cosmochimiste (!) et analyse les débris d’astéroïdes qu’il va chercher dans les régions du globe les plus reculées… ainsi qu’il le raconte à la petite Linn, visiblement subjuguée.

La seule à introduire un peu de vie et de bon sens dans cette chronique languissante, c’est Nicole Garcia, qui incarne l’ex-femme du père, divorcée depuis plus de vingt ans, en couple avec un autre homme, mais qui continue à s’occuper de cet homme incapable désormais de se prendre en charge. Situation classique des femmes toujours assignées au care, même quand les liens affectifs se sont distendus.

Il manque visiblement plusieurs mois d’écriture pour que cette histoire puisse avoir un quelconque intérêt pour le public ordinaire, celui qui n’est pas prêt à s’attendrir sur cet homme diminué parce que c’est un intellectuel et, qui plus est, spécialiste de culture germanique (faut-il comprendre, comme dit mon amie Ginette Vincendeau, que si c’était un ouvrier, il n’y aurait pas de quoi s’apitoyer?). Naturellement, tout ce petit monde, dont les enfants pratiquent l’escrime, vit dans des appartements qui donnent soit sur la Mosquée de Paris dans le 5e arrondissement, soit sur de charmantes cours arborées… On a droit à un épisode sinistre dans une maison de retraite de la banlieue nord de Paris, mais heureusement, une place se libère dans un établissement montmartrois, où ce pauvre homme, qui ne voit plus rien et n’a plus aucune idée de là où il est, sera forcément mieux (comme si le problème des maisons de retraite tenait au lieu de leur localisation!). On en vient même à se demander si le film n’a pas trouvé son financement parce qu’il reflète si fidèlement l’environnement physique et culturel de l’élite cultivée, à qui il semble s’adresser exclusivement…

Tout le monde n’a pas le talent d’Annie Ernaux pour raconter sa vie, qui plus est une vie «ordinaire» comme celle mise en récit par la nouvelle lauréate du Prix Nobel de littérature.

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net
Un beau matin, film écrit et réalisé par Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux, Pascal Greggory, Melvil Poupaud, Nicole Garcia.

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mercredi 27 novembre 2019

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