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Eradiquer la poliomyélite: un vrai casse-tête

À votre santé!

Petit rappel: la poliomyélite (ou paralysie infantile) est une maladie virale très contagieuse qui, en plus d’une gastro-entérite, peut une fois sur cent entraîner une paralysie à vie, voire la mort.

En Suisse, une grosse épidémie a touché 1700 enfants en 1954, une autre encore un peu moins de 1000 en 1956 – juste avant l’introduction systématique d’un vaccin contre les trois souches du virus de la polio.

Depuis, le nombre de cas a diminué drastiquement, grâce à une couverture vaccinale proche de 90%. Il n’y a plus eu de cas de polio depuis quarante ans dans notre pays, au point que l’on a un peu oublié la gravité de cette maladie.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a contribué à mettre sur pied un programme mondial de vaccination massive depuis longtemps.

A ce jour, il n’y a plus que le Pakistan et l’Afghanistan qui sont confrontés à de petites épidémies de virus «sauvage» de type 1. Hélas, il y a aussi des épidémies plus grandes dues au virus vaccinal (essentiellement de la souche 2). Certes, ces épidémies n’ont pas l’ampleur des épidémies historiques, mais elles touchent encore quelque 1000 personnes (principalement des enfants de moins de 5 ans) chaque année, la majorité des cas étant situés dans ces deux pays.

Ceci est lié à différents facteurs: d’une part existe la méfiance – non sans quelques raisons – des populations pachtounes vis-à-vis des vaccins, d’autre part la situation politique de ces régions n’a jamais permis de structurer un système de santé cohérent. Il en résulte une sous-vaccination qui permet à la souche vaccinale de virus atténué, administrée oralement, de se transmettre à certains individus non vaccinés qui vont contracter la maladie.

C’est pourquoi l’OMS préconise au moins une première vaccination de virus inactivé en injection, avant d’administrer des doses de vaccin atténué (plus faciles à gérer puisque la prise est orale), ceci dans le but de minimiser le risque de transmission. Hélas, cette procédure n’a pas pu se mettre en place dans plusieurs pays.

L’éradication de la poliomyélite – que l’on croit à bout touchant depuis le début de ce siècle – continue à être un vrai casse-tête et l’OMS a mis sur pied une «Stratégie d’éradication 2022-2026»1>«Stratégie d’éradication de la Poliomyélite 2022-2026: tenir notre promesse»; OMS 2021.qui repose sur deux volets:

– interrompre définitivement toute transmission du poliovirus dans les pays d’endémie. Il est question de développer une volonté politique à tous les niveaux, de créer des partenariats avec les communautés marginalisées, de réaliser des campagnes de vaccination de maison en maison et de mettre sur pied une surveillance et une détection rapide des nouveaux cas. Il parait assez évident que cela va être difficile à réaliser dans le contexte afghan actuel, ainsi qu’au Pakistan, où la population pachtoune, la plus touchée par la polio, est aussi celle qui est la plus marginalisée, oubliée du pouvoir central;

– stopper la transmission des poliovirus circulants dérivés d’une souche vaccinale de type 2 (PVDV2c) et prévenir les flambées dans les pays où la poliomyélite n’est pas endémique. Jusqu’à cette année, on pensait davantage à des pays comme la Syrie (depuis la guerre), le Tchad ou encore la RDC. Il s’agissait d’y plaider en faveur de l’organisation d’une surveillance épidémiologique et de la mise sur pied d’une stratégie de riposte rapide en cas de début d’épidémie. Quand on sait combien le Covid a déstructuré les programmes de vaccination, souvent interrompus de nombreux mois sur ces deux dernières années, on mesure la limite de ce plan stratégique dans les pays en question.

En Europe et aux Etats-Unis, en revanche, où l’on utilise depuis maintenant vingt ans uniquement le vaccin inactivé afin d’éviter toute poliomyélite post-vaccinale, on se croyait à l’abri. Mais, comme le rapporte un article de la revue médicale The Lancet2>«Emergence of vaccine-derived poliovirus in high-income settings in the absence of oral polio vaccine use», The Lancet, vol 400 September 3, 2022., on a retrouvé à plusieurs reprises, en juin 2022, du PVDV2 dans les eaux usées de Londres et, peu de temps après, dans celles de New-York – ayant même entraîné un cas de poliomyélite. Or le Royaume-Uni comme les Etats-Unis n’utilisent plus de vaccins vivants depuis longtemps.

L’analyse a montré que, dans la région new-yorkaise concernée, il n’y avait que 42% d’enfants vaccinés. L’hypothèse la plus probable est que, avec les mouvements de populations, une personne ait apporté un virus atténué d’une région du monde où l’on utilise encore ce type de vaccin et que ce virus ait trouvé comment se multiplier, du fait que les personnes non immunes sont nombreuses.

Peut-être aussi, le vaccin inactivé, qui protège bien contre les formes paralysantes (et systémiques) de polio, est moins efficace contre la multiplication du virus dans l’intestin, ce qui expliquerait sa présence dans les eaux usées. Cela reste une énigme.

Dans tous les cas, il s’agit d’une alerte. On doit continuer ou se remettre à rechercher ce virus dans nos eaux usées, il ne faut pas baisser la garde en terme de couverture vaccinale et c’est le moment d’affiner nos stratégies vaccinales. Même chez nous, nous n’en avons pas fini avec la poliomyélite.

Notes[+]

Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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