Chroniques

«Gardien de livres»

À livre ouvert

C’est en pleine pandémie, le jeudi 9 juillet 2020, que les chroniques de Renaud Garcia consacrées à ses lectures «naturiennes» – nous reviendrons sur ce qualificatif – commencent à paraître sur le site de Pièces et Main d’œuvre , bien connu des techno-critiques en herbe ou confirmés. Les trois premières entrées donnent le ton: «Epicure & Kaczynski», «Jacques Tati & Jaime Semprun», «Kropotkine & Zamiatine»… Outre les noms, les faits et les œuvres, il y a ce «&» qui interpelle et donne envie d’en savoir plus. Alors on se met à lire, pour très vite comprendre qu’à une première lecture répondra une seconde, puis une troisième et ainsi de suite.

Ce qui frappe immédiatement, outre le rythme de parution soutenu, c’est la parfaite adéquation des moyens mis en œuvre par l’auteur: passion pour toute pensée écologique radicale, peu importe la forme littéraire qu’elle prend et dans quel contexte historique ou géographique elle s’inscrit; langue claire, ne nous tenant point à distance, même lorsque le propos s’avère complexe; lucidité de tous les instants, en particulier lorsqu’il s’agit de se méfier de la pensée réflexe, voire de s’en défier; enfin résolution affirmée à forger de nouveaux outils pour continuer coûte que coûte de penser.

Près de deux ans plus tard, l’aventure continue, pour preuve la parution le 11 juillet dernier des chroniques n°45 et 46 consacrées à Pierre de Ronsard & William Blake. Si c’est une chose de lire ces textes à l’écran, au gré de nos visites et du rythme de publication, c’en est une autre d’avoir depuis ce printemps les quarante premières chroniques réunies dans deux volumes forts de 350 pages chacun. Pourquoi? Parce que c’est seulement sous cette forme que l’on parvient à prendre la pleine mesure du travail engagé.

Celui-ci ne peut en aucun cas être mesuré par le nombre de pages ou par la diversité des auteurs approchés et côtoyés, autrement dit en consultant les tables des matières respectives des deux volumes. Pour cela il faut plutôt se retourner sur ce qui en est le cœur, le questionnement fondamental: qu’est-ce qu’au fond l’écologie? Et s’intéresser ensuite à ce que ce travail critique produit chez nous, le lisant.

Ce qu’est l’écologie, la quatrième de couverture le dit sans ambages: bien que l’expression soit née il y a plus de 150 ans sous la plume d’Ernst Haeckel et que son sens courant soit celui de science des milieux de vie, c’est peut-être la «seule idée neuve apparue en politique depuis plus d’un demi-siècle». Mais ce mot ne dit pas tout, surtout de ceux qui «ne se prétendent pas ‘écologistes’ [mais] le sont».

Comme ces naturiens, auxquels un chapitre est consacré dans le premier volume de Notre bibliothèque verte. Porteurs d’un «épicurisme libertaire» ils viennent nous rappeler ce qu’est la nature: «La nature des naturiens, c’est un principe, un critère de jugement des œuvres du progrès. Revenir à la nature, c’est refuser la ‘civilisation’ telle quelle, c’est-à-dire tout ce qui entoure les hommes du luxe et du machinisme, sous les auspices de la science. C’est lui poser la question: qu’en retenir? Jusqu’où? Pour la satisfaction de quels besoins? Principe, critère de jugement, mais refuge aussi.» Naturien, ou encore naturiste radical, Renaud Garcia retient cette étiquette pour s’en réclamer: «Hommage à l’idéal de ceux qui s’honorent d’être nés, et voient dans la nature le milieu même de la liberté.» Manière aussi de «se nommer autrement que dans la dépendance à l’égard de ce que [l’on combat]».

Découvrir ce qu’il y a de naturien chez un Ray Bradbury, un Murray Bookchin ou une Simone Weil – pour ne citer qu’eux – n’est pas sans provoquer des sentiments contrastés. Là où nous pensions trouver une affinité non questionnée, nous découvrons une critique âpre; là où nous nous attendions à voir un auteur être vigoureusement tancé, nous reconnaissons les traits distinctifs d’un profond hommage. En fait, l’auteur de la Bibliothèque verte – qui en est aussi le bibliothécaire –, bien plus que de nous ouvrir ses portes, nous engage à (re)lire chacun des livres disposés sur ses rayons. Personnellement, il me remet en tête l’hommage fait à la profession par Nicolas Bouvier pour qui le bibliothécaire est avant tout un gardien de livres.

Alexandre Chollier est géographe, écrivain et enseignant.

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lundi 8 janvier 2018

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