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Frontex: une agence sous enquête

Frontex aide les Etats de l’UE à garder leurs frontières mais elle est accusée de viol des droits humains.
Frontex: une agence sous enquête
Selon des enquêtes journalistiques et d’ONG, Frontex participe au refoulement de demandeurs d’asile à la frontière de l’UE. KEYSTONE/ARCHIVES
Votation fédérale

Alors que le peuple suisse doit se prononcer le 15 mai sur un référendum contre l’augmentation de la participation à Frontex, l’agence de surveillance des frontières de l’Union européenne (UE) essuie critiques sur critiques. En juillet 2021, la commission d’enquête du Parlement européen, mise sur pied après de nombreuses accusations, a dénoncé les agissements de ses agents en Grèce.

Les gardes-frontières de l’agence de l’UE auraient intercepté des embarcations de migrants pour les livrer aux garde-côtes grecs. Ces derniers les auraient alors renvoyés vers la Turquie sur des bateaux pneumatiques dépourvus de moteur, tirant parfois des coups de semonce. Frontex n’aurait jamais signalé ces infractions. Auteure de nombreuses enquêtes en Libye où elle a vu l’agence à l’œuvre, la journaliste d’investigation italienne Sara Creta jette un regard sans concession sur leur mission. Interview.

L’un des enjeux de la votation qui aura lieu le 15 mai en Suisse est d’accorder 37 millions de francs de contributions financières supplémentaires d’ici à 2027 à l’agence européenne. Frontex a-t-elle besoin de plus de moyens pour ses tâches de surveillance?

Sara Creta: Depuis quelques années, Frontex a vu son mandat et son budget augmenter à un rythme rapide. Elle est désormais la plus grande agence de l’UE. Son budget est passé de 6 millions d’euros en 2005 à 750 millions en 2022. Cependant, la sauvegarde de la transparence ne semble pas avoir suivi le même rythme. Cette agence a été soumise à un examen externe sévère de la part d’institutions, d’organisations et d’organes juridiques. Elle fait actuellement l’objet de plus de dix enquêtes de la part du Parlement européen, du Médiateur européen et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de l’UE (voir European Parliament monitoring group report calls out Frontex transparency malpractice, ndlr).

En 2018-2020, vous avez mené l’enquête sur les migrants en Libye. Frontex violerait-elle les droits humains?

Comme nous l’avons récemment découvert dans un rapport sur lequel j’ai travaillé avec l’agence d’investigation Lighthouse Reports, Der Spiegel, Libération et ARD Monitor en avril 2021, l’agence européenne des frontières joue un rôle direct dans les opérations d’interception effectuées par les gardes-côtes libyens, contrairement à ce qu’elle avait démenti. Nous avons révélé les accords cachés entre Frontex et les gardes-côtes libyens, y compris via des groupes WhatsApp où les coordonnées des bateaux de réfugiés sont partagées. Les preuves démontrent un niveau d’engagement et de direction qui, selon les experts, viole le droit européen et international. Ces faits contredisent également les affirmations de Frontex selon lesquelles elle ne dirige pas les interceptions en Méditerranée.

Depuis ces dénonciations, Frontex a-t-elle amélioré son traitement des migrants tentant de traverser la Méditerranée?

De fortes allégations ont fait surface, selon lesquelles Frontex était impliquée dans des refoulements de demandeurs d’asile à la frontière de l’UE, ainsi que dans des violations potentielles des droits fondamentaux. Ces refoulements ont également fait l’objet d’une enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Cette pratique «de ping-pong» continue: les refoulements depuis les frontières terrestres ou maritimes de personnes interceptées en territoire grec et renvoyées directement en territoire turc sans passer aucune procédure légale.

Au lieu de verser de l’argent à Frontex comme le prévoit le nouvel accord qui va lier la Suisse, ne faudrait-il pas aider les autorités de pays comme la Libye pour qu’elles détiennent les migrants dans de meilleures conditions?

Pendant de nombreuses années, l’UE et certains Etats membres ont versé des millions d’euros dans des programmes visant à renforcer la capacité des gardes-côtes libyens à intercepter les bateaux quittant la Libye, en sachant parfaitement que tous les migrants sont alors automatiquement placés en détention indéfinie et arbitraire, sans contrôle judiciaire. J’ai également documenté la complicité de certains acteurs étatiques, et milices, y compris des membres de la Direction de la lutte contre l’immigration clandestine (DCIM) et des gardes-côtes libyens, dans le trafic de migrants. Ces dérives font craindre que les migrants interceptés et renvoyés en Libye par les gardes-côtes libyens ne soient exposés à un risque accru de trafic et d’abus par des réseaux criminels. La rhétorique est bien rodée: il s’agirait de lutte contre le trafic d’être humains…

«Des accords lient les gardes-côtes libyens à Frontex» Sara Creta

Est-ce que Frontex est transparente par rapport aux faits qui lui sont reprochés?

Dans les enquêtes qui la touchent, Frontex maintient qu’elle n’a rien fait de mal. Mais impossible de le vérifier pour le moment: le rapport de l’OLAF n’a pas encore été publié. Il semble impliquer le directeur exécutif de Frontex Fabrice Leggeri et deux autres hauts fonctionnaires dans des questions liées aux refoulements. En 2020, l’agence avait également enregistré 17 cas de harcèlement, qui pourraient être abordés dans un autre rapport Olaf. Comme prévu, Frontex ne donne pas accès au rapport controversé de l’OLAF. Au lieu de cela, elle se cache derrière des termes juridiques. Or, la transparence est un élément essentiel du droit. En tant qu’agence de l’UE, elle doit faire son travail aussi ouvertement que possible, notamment en tenant des registres appropriés et en donnant accès aux documents. Cette agence de l’UE refuse souvent les demandes d’accès aux documents et, le plus souvent, les documents communiqués sont largement expurgés pour des raisons de sécurité publique. De moins en moins de demandes reçoivent un accès complet chaque année, le taux d’acceptation complète atteignant 13,9% en 2017. LA LIBERTÉ

Sur quoi nous votons?

La Suisse participe à l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes Frontex depuis 2011. La tâche de cette agence est la surveillance des frontières de l’Espace Schengen dont font partie notre pays mais aussi la plupart des pays de l’UE ainsi que la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Depuis la fin de 2019, Frontex dispose de gardes en uniformes sur le terrain, ce qui appelle donc des dépenses supplémentaires.

Le Conseil fédéral estime que notre pays doit participer à l’élargissement des missions de Frontex visant à améliorer les contrôles aux frontières. D’une moyenne de six postes à plein temps actuellement, l’engagement de personnel suisse devrait atteindre un maximum d’environ 40 postes à plein temps en 2027. Sur le plan financier, la contribution de la Suisse passera de 24 millions de francs en 2021 à quelque 61 millions en 2027.

Un référendum contre ce projet d’élargissement des tâches de Frontex a abouti et le peuple suisse votera le 15 mai. Si le non l’emporte, le Conseil fédéral craint que la Suisse soit exclue de l’Espace Schengen/Dublin. PAS

Gardes en uniformes depuis 2019

Créée en 2004, l’agence européenne de surveillance des frontières a son siège à Varsovie en Pologne. Cette année-là, ce pays faisait son entrée dans l’Union européenne (UE). Le mandat de l’agence a été élargi à deux reprises: une première fois en 2016, lorsqu’elle est devenue Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, et une seconde fois en 2019, ce qui a ouvert la voie à la création du premier service européen en uniforme – le corps permanent de gardes-frontières et de gardes-côtes européens. Leur tâche consiste à soutenir les Etats membres confrontés à des problèmes à leurs frontières extérieures.

Un grand nombre des pouvoirs des gardes-frontières nationaux leur sont attribués. Les gardes en uniformes de Frontex peuvent vérifier l’identité et la nationalité d’une personne, autoriser ou refuser l’entrée dans l’UE et patrouiller entre les points de passage frontaliers.

Cette agence de l’UE est l’une de la trentaine d’agences européennes spécialisées. Elle emploie plus de 1500 personnes provenant des Etats membres de l’UE et des pays associés à l’espace Schengen. Parmi eux, on compte plus de 600 membres du corps permanent des gardes-frontières et gardes-côtes européens, qui seront principalement déployés dans le cadre des opérations de Frontex.

De 6 à 40 gardes-frontières

La Suisse siège au conseil d’administration et met à disposition six agents pour la surveillance des frontières. Si le référendum dirigé contre l’augmentation de la participation de la Suisse à cette agence échoue le 15 mai, ce nombre devrait passer à 40 et la contribution financière de 24 à 61 millions de francs d’ici à 2027.

Affichant lors de sa première année d’existence en 2005 un budget de 6 millions d’euros, le montant est passé à 19 millions d’euros en 2006 puis à 118 millions d’euros en 2011. Il n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre… 543 millions d’euros en 2021 et 750 millions cette année.

Le contrôle des coûts est assuré par un processus rigoureux. Une fois que le budget annuel est approuvé par le conseil d’administration, il est présenté à la Commission européenne et doit être validé par le Parlement européen. Frontex est légalement tenue de rendre compte au Parlement européen des activités et des dépenses de chaque année. En outre, chaque année, la Cour des comptes européenne effectue un audit des comptes afin de garantir la transparence financière. Sur la base de ce rapport annuel, le Parlement européen décide – sur recommandation du Conseil des ministres – d’accepter ou non les comptes de l’année en cours. LA LIBERTÉ

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