Chroniques

A la lueur des Asturies

L'histoire en mouvement

Le 6 avril 1962, en Espagne, sept piqueurs de la mine de charbon La Nicolasa, dans les Asturies, sont licenciés pour avoir protesté contre leurs conditions de travail. Les jours suivants, plusieurs milliers de leurs camarades se mettent en grève en signe de solidarité.

La flambée sociale se répand jusque dans les usines de la région, puis touche plusieurs grandes villes espagnoles. Au pic de la mobilisation, plus de 60 000 travailleurs et travailleuses ont stoppé le travail. Une première brèche dans l’édifice de la dictature franquiste qui règne alors depuis plus de vingt ans sur le pays.

Situées dans le nord-ouest, entre la Galice et la Cantabrie, les Asturies possèdent une longue tradition de lutte ouvrière. On oublie souvent que, sous la Seconde République, une révolution y a éclaté en octobre 1934, réprimée dans le sang par les troupes coloniales (connues aussi sous le nom d’armée d’Afrique) sous les ordres d’un certain Franco. Plus de mille insurgés trouvèrent en effet la mort à l’issue d’une des dernières démonstrations de force de la gauche, avant le coup d’Etat nationaliste de 1936. Après la défaite du camp républicain trois ans plus tard, les organisations socialistes et communistes se recomposent peu à peu dans la clandestinité et l’exil.

C’est ce caractère clandestin qui donne à la grève de 1962 ses spécificités. On la connaît en effet sous le nom de «grève du silence» car les mineurs doivent recourir à des moyens discrets et inhabituels pour organiser et diffuser les mots d’ordre. Pas d’assemblées publiques ni réunions de coordination: le signe de l’arrêt du travail est le plus souvent donné de manière codée par le mineur le plus expérimenté et respecté. Les femmes des mineurs grévistes jouent quant à elles un rôle crucial dans la diffusion secrète des mots d’ordre entre les différents districts miniers. Elles se chargent également de jeter des graines de maïs dans les puits des non grévistes, signifiant ainsi à ces travailleurs qu’ils sont des gallinas (poules mouillées en espagnol) et qu’ils doivent rejoindre le mouvement.

La radio fonctionne également comme un outil essentiel de diffusion de l’information. De nombreux foyers écoutent chaque soir La Pirenaica, la station clandestine mise en place par le Parti communiste espagnol et sur laquelle on peut notamment entendre les discours de solidarité de Dolores Ibárruri, la célèbre Pasionaria, alors dirigeante de l’organisation. Les communistes jouent un rôle fondamental dans la grève en mettant à son service leurs réseaux informels, mais aussi en faisant intervenir leurs militant·es exilé·es pour organiser la solidarité internationale. A titre d’exemple, le 14 mai 1962, plus d’un millier de personnes se réunissent à Genève devant le consulat espagnol pour exprimer leur appui aux mineurs en grève.

Après deux mois de mobilisations acharnées, Franco se voit obligé d’envoyer l’un de ses bras droits négocier avec les grévistes. Ces derniers commencent à souffrir de la faim et reprennent progressivement le travail à la faveur d’un nombre important de concessions de la part du gouvernement. Pourtant, le régime n’entend pas laisser filer les mineurs les plus militants: nombre d’entre eux passent par la case prison pour des raisons politiques. Certains sont déplacés dans d’autres villes afin de réduire leur «capacité de nuisance», mais ils sont le plus souvent pris en charge par les sections communistes locales.

Soixante ans plus tard, la grève de 1962 est restée dans les mémoires non seulement par son ampleur, mais aussi parce qu’elle est considérée par certains comme un des signes annonciateurs de la déliquescence du régime franquiste. Même s’il faudra finalement attendre près de quinze ans pour voir la dictature prendre fin, la combativité des travailleuses et des travailleurs espagnols a su maintenir la flamme de la contestation en ces périodes sombres. Alors que le récit actuel de la transition espagnole vers la démocratie fait la part belle au rôle joué par la monarchie et les appareils bureaucratiques, il est bon de s’en souvenir.

L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

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