Chroniques

Le difficile travail des promoteurs de santé au Chiapas

À votre santé!

J’ai le privilège de partager pendant trois semaines la vie et le travail de l’ONG Madre Tierra Mexico, soutenue par la Fédération genevoise de coopération, au travers d’un projet présenté par la Centrale sanitaire de Suisse romande. Pour situer en deux mots, le Mexique espère, tout comme la Suisse, sortir de la pandémie et vient de rouvrir officiellement ses écoles après deux ans de fermeture. Mais la région du Chiapas est depuis huit mois le théâtre d’une prise de contrôle de territoire par les narcotrafiquants, si bien que dans de nombreuses zones rurales, surtout celles proches de la frontière avec le Guatemala, les enseignant·es n’ont pas repris leur poste du fait de l’insécurité créée par ce contexte, et les enfants restent sans école.

Par ailleurs, les programmes de vaccination (comme les autres programmes verticaux) ont été très erratiques durant la pandémie et de nombreux enfants se retrouvent avec des schémas vaccinaux incomplets. Il y a donc actuellement un désert éducatif et sanitaire public dans la plus grande partie du Chiapas, avec des niveaux de pauvreté incroyables pour un pays plein de ressources.

C’est dans ce contexte difficile que les promoteurs et promotrices de santé travaillent: ils sont le seul lien avec les communautés rurales dont ils sont issus et où ils continuent souvent de vivre. En l’occurrence, Madre Tierra Mexico (MTM) les forme et les supervise, essentiellement sur des thèmes de promotion de la santé et de prévention des maladies: ils et elles veillent à la bonne construction de latrines sèches – permettant de récupérer les excréments et l’urine comme fertilisants – et de fours à bois fermés – évitant que les femmes et les petits enfants vivent dans des fumées passives nocives. Avec leurs collègues spécialisé·es en permaculture ils incitent chaque famille, au travers de parcelles démonstratives communautaires, à faire son jardin potager et planter quelques arbres fruitiers pour diversifier l’alimentation.

Encore faut-il que le problème de l’eau soit résolu, ce qui est loin d’être le cas. Parfois, il y a à peine de l’eau pour boire, pas vraiment potable, et l’hygiène corporelle est difficile. Actuellement, MTM essaie de trouver avec chaque communauté auprès de laquelle elle intervient un accès facilité à l’eau, en créant un puits profond ou en puisant dans une rivière proche et en installant des filtres à eau rudimentaires.

Ces quelques apports basiques, pourtant si importants, impliquent des changements de pratiques. Et rien n’est simple. C’est pourquoi le promoteur ou la promotrice visite régulièrement les maisons: il rappelle le bon usage des latrines, du four – parfois encore trop délaissé au profit du feu à même le sol – et l’importance du jardin potager. C’est encore la communauté organisée qui parfois s’occupe de la culture de champignons, de la pisciculture ou encore d’un poulailler collectif: sans promoteur ou promotrice, choisi·e par les locaux, cela serait très difficile. Le promoteur profite aussi des réunions régulières des responsables communaux pour rappeler les principes d’hygiène personnelle et de l’espace public, aussi informer sur la nocivité des boissons industrielles du type Coca-Cola – le Chiapas a le triste record des quantités de sodas bues, de pair avec le record de personnes diabétiques. Là encore, le travail collectif, stimulé par le promoteur, est essentiel. Il permet de consolider l’organisation communautaire et de pouvoir compter sur son soutien dans une relation horizontale.

De lourdes tâches, effectuées dans un contexte d’insécurité. Tout déplacement est risqué et c’est pourquoi l’Etat n’envoie plus de personnel. Et pourtant ces promoteurs et promotrices, malgré une formation de plus en plus formalisée, ne sont pas titularisé·es ni reconnu·es par l’Etat (tout comme les sages-femmes – seul·es les médecins étant reconnu·es comme professionnel·les de l’obstétrique). C’est un vrai combat de faire reconnaître ce travail comme la porte d’entrée d’un système de santé; on en est encore loin! En attendant, la rémunération des promoteurs et promotrices de santé n’est hélas assurée que par des ONG comme MTM, donc la pérennité de leur travail est très fragile.

Il faut dire que, comme chez nous, au Mexique – même celui d’Andres Manuel Lopez Obrador, président de centre-gauche –, la santé est d’abord vue comme un marché lucratif plutôt que comme un droit humain à préserver, auquel chacun·e à accès.

Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle, en mission au Mexique.

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lundi 8 janvier 2018

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